Un déficit zéro à Québec cette année? Pas vraiment. Tel un magicien, le gouvernement obtiendra zéro, mais la réalité financière diffère. L'écart n'est pas marginal: en comptabilisant différemment deux éléments, le déficit pourrait facilement augmenter d'environ 2 milliards. Cette chronique et celle de samedi vous expliquent comment.

Question quiz: à quel moment le gouvernement du Québec inscrira-t-il dans ses livres la subvention de 200 millions pour l'amphithéâtre de Québec? Au début ou à la fin des travaux? Réponse: ni l'un ni l'autre.

Étonnamment, le gouvernement répartira sur 20 ans la fameuse subvention. Et même s'il s'est engagé à verser la somme à la Ville de Québec, le gouvernement n'augmente pas sa propre dette d'une seule cenne.

Ce genre de comptabilisation, unique au Canada, est critiqué par le vérificateur général du Québec (VG) dans son rapport du 21 mars. Selon le VG, le gouvernement utilise cette méthode pour toutes les subventions d'infrastructures versées aux municipalités, aux universités autres que le réseau de l'Université du Québec et aux centres à la petite enfance.

La méthode a pour effet de sous-estimer grandement le déficit et l'endettement réel du Québec. Au 31 mars 2012, les engagements pris par le gouvernement, mais non inscrits dans ses états financiers, s'élevaient à 8,4 milliards. C'est l'équivalent de 35 000 maisons!

Cette pratique existe depuis longtemps, mais elle augmente à la vitesse grand V. Depuis cinq ans, ces engagements extracomptables ont bondi de 44%, deux fois plus que la croissance de l'économie.

Le VG invite donc le gouvernement à corriger le tir et à se conformer aux nouvelles normes de l'Institut canadien des comptables agréés (ICCA). Cet organisme demande d'ailleurs qu'on s'y conforme au plus tard le 31 mars prochain... dans trois jours.

En vertu de ces normes, Québec devrait donc augmenter sa dette d'au moins 8,4 milliards dans trois jours. «Au moins» parce qu'en raison de l'opacité des états financiers à cet égard, le VG n'a pas été en mesure de classifier une autre tranche d'engagements de 4,5 milliards.

De plus, les chiffres dont il dispose n'incluent pas encore l'année 2012-2013, qui se termine le 31 mars. Selon les nouvelles normes, ces milliards devraient être inscrits au compte de la «mauvaise dette», celle qui correspond aux déficits cumulés.

Toujours selon les normes, le gouvernement devrait ajouter à son déficit annuel l'augmentation des engagements qu'il prend annuellement. Depuis deux ans, les engagements ont bondi d'environ 750 millions par année et devraient donc être inscrits au déficit de chacune des années en question. Au rythme où vont les choses, cette somme sera probablement plus importante au cours de l'exercice 2013-2014, ce qui viendrait compromettre l'atteinte du déficit zéro.

Les comptables du gouvernement ne sont pas malhonnêtes. Selon le VG et l'ICCA, leur méthode est adéquate quand il s'agit d'infrastructures que le gouvernement détient en propre, comme des hôpitaux, mais pas pour des subventions versées à des tiers, comme les municipalités.

Au fait, que font les comptables avec ces subventions, au juste? Un exemple: disons que la municipalité de Trois-Montagnes construit une usine de traitement des eaux de 50 millions que Québec finance à 100%. Québec prend l'engagement de verser les 50 millions, mais ne décaisse pas l'argent.

Il demande plutôt à Trois-Montagnes d'emprunter elle-même des fonds pour construire l'usine, comme un emprunt hypothécaire sur une maison, et s'engage à la rembourser sur plusieurs années.

Dans ses états financiers, Québec inscrit donc seulement la portion annuelle de la subvention, typiquement un vingtième du total, et il le fait seulement dans l'année suivant la fin des travaux.

Cette façon de faire pose trois problèmes. Primo, elle gonfle le coût des projets au détriment des Québécois. En effet, les municipalités empruntent à des taux d'intérêt souvent plus élevés que ceux du gouvernement. Même si Québec s'engage à rembourser Trois-Montagnes, les citoyens vont souvent payer davantage d'intérêts, au bout du compte.

Deuzio, elle porte atteinte à la démocratie dans le contexte de l'adoption du livre des crédits par les élus. En effet, les parlementaires sont impuissants face aux fonds déjà engagés, comme ceux pour Trois-Montagnes.

Bien souvent, ils votent sur des crédits annuels concernant des immeubles construits il y a plusieurs années et pour lesquels ils n'ont absolument aucune influence.

Tertio, elle dissocie les bénéfices économiques d'un investissement gouvernemental de ses coûts. En effet, Québec empoche les impôts et taxes d'un investissement et des emplois créés pendant la construction, mais en reporte les coûts sur plusieurs années.

Cette pratique est unique au Canada, croit le VG. En Ontario, quand le gouvernement s'engage auprès d'une municipalité, il emprunte lui-même, le cas échéant, et verse les fonds à la municipalité dès le début du projet. Même chose au fédéral. À cet égard, les états financiers de l'Ontario et du fédéral offrent donc un meilleur portrait de leur situation financière respective, puisque l'entière subvention est immédiatement portée aux livres.

Les institutions financières sont bien au fait de cette problématique et en tiennent compte lorsqu'elles évaluent la qualité du crédit du gouvernement. Québec est d'ailleurs limpide dans son rapport K18 remis à la commission des valeurs mobilières américaines (SecuritiesandExchange Commission).

Cependant, cette dette additionnelle d'au moins 8,4 milliards - et l'augmentation des déficits annuels sous-jacents - demeure préoccupante. Entre autres, elle rendra plus difficile l'atteinte des cibles que s'est fixées le gouvernement dans sa Loi sur l'équilibre budgétaire de 2010.

Au 31 mars 2012, la «mauvaise dette» du Québec était de 114,1 milliards, soit l'équivalent de 33% du produit intérieur brut (PIB). L'ajout des engagements la ferait passer à environ 122,5 milliards (environ 35% du PIB). Québec doit réduire cette dette à 17% du PIB en 2026, selon la loi.

Précisons que le gouvernement conteste l'interprétation du vérificateur général.