Dans la vie, il y a trois sortes de chômeurs. Rassurez-vous, il n'est pas question de l'attitude des personnes «sur le chômage», mais des catégories de chômeurs tel que vu par les économistes.

Il faut en parler parce que le sujet devrait être abordé, en quelque sorte, dans le budget fédéral de Jim Flaherty. Et il risque de faire grincer des dents à Québec.

D'abord, il y a le chômage conjoncturel. Il s'agit des pertes d'emplois temporaires provoquées par une baisse de la demande, comme c'est le cas lors d'une récession. Ensuite, il y a le chômage frictionnel. Dans ce cas, une personne a un métier en demande, mais elle est inscrite dans les statistiques du chômage durant les quelques jours où elle se cherche nouvel emploi.

Enfin, il y a le chômage structurel, qui correspond à l'inadéquation entre les qualifications des personnes et les emplois offerts sur le marché. Un philosophe sans emploi ne peut travailler comme soudeur ou comptable, où il y a pourtant pénurie de main-d'oeuvre.

Le ministre des Finances, Jim Flaherty, veut précisément s'attaquer à cette dernière forme de chômage, plus permanent. Pour ce faire, il remanie les critères de l'assurance emploi - la manière est discutable - et surtout, il réformera ses programmes de formation de la main-d'oeuvre.

Son objectif est clair: s'il réduit le chômage structurel, Jim Flaherty augmentera le nombre de contribuables, dont les impôts permettront de réduire le déficit, entre autres. Ce déficit devrait atteindre les 26 milliards de dollars cette année (2012-2013) et probablement plus que les 16,5 milliards prévu au cours de la prochaine année, compte tenu du ralentissement économique.

Selon l'économiste Jean-Michel Cousineau, de l'Université de Montréal, environ le tiers des chômeurs est de type structurel. Comme le taux de chômage en 2012 était de 7,2% au pays (7,8% au Québec), M. Cousineau estime que la portion structurelle oscille aux alentours de 2 ou 3%. Au Québec, on parle donc de quelque 110 000 chômeurs structurels. C'est énorme!

Selon mon collègue Joël-Denis Bellavance, M. Flaherty compte mettre près de 300 millions de dollars à la disposition des entreprises pour accélérer la formation des travailleurs et réduire la pénurie de main-d'oeuvre dans certains secteurs, notamment ceux des métiers dits traditionnels. L'argent serait versé aux entreprises à la condition qu'elles en mettent autant.

Le problème, c'est que ces 300 millions seraient pris dans l'enveloppe déjà versée aux provinces. Chaque année, Ottawa transfère 500 millions aux provinces pour accroître l'employabilité des chômeurs, dont 116 millions au Québec. Or, le fédéral estime que 80% des 500 millions n'ont pas servi à former des employés, mais à fournir des conseils et des informations générales aux chômeurs, ou autrement dit à payer des fonctionnaires, essentiellement.

L'objectif d'Ottawa est louable, mais la manière sera contestée. La formation de la main-d'oeuvre a été transférée il y a environ 15 ans au Québec et elle est gérée par Emploi-Québec. Or, les activités d'Emploi-Québec sont reconnues pour être efficaces; une part du recul du chômage au Québec lui serait attribuable. La semaine dernière, une motion unanime a été adoptée par l'Assemblée nationale pour qu'on renouvelle le programme allouant les 116 millions, qui vient à échéance en 2014.

«Ottawa ne connaît rien à la formation de la main-d'oeuvre, il ne voit que les statistiques. Il peut bien faire valoir ses préoccupations, légitimes, mais passer par-dessus Emploi-Québec serait un manquement aux règles d'efficacité de base», croit Jean-Michel Cousineau, qui est également responsable des politiques publiques à l'Association des économistes québécois (ASDEQ).

Bref, une nouvelle chicane à prévoir entre Ottawa et Québec. Chose certaine, Flaherty a raison sur les principes. Certains secteurs ont des pénuries de main-d'oeuvre criante. Le phénomène s'accentuera avec le nombre croissant d'employés âgés qui quittent le marché du travail et avec le flot d'immigrants, dont la formation doit souvent être ajustée à nos réalités.

Plusieurs entreprises souffrent du chômage structurel, note Simon Prévost, président des Manufacturiers et Exportateurs du Québec. «La formation de nos cégeps et universités doit être davantage adaptée aux besoins des entreprises. On a eu des discours méprisants sur les métiers techniques ou les formations universitaires utiles. Certains ont parlé de marchandisation de l'éducation. Je veux bien qu'on forme de bons citoyens, mais, sur le plan humain, ces bons citoyens seront davantage épanouis s'ils remplissent un besoin dans un secteur en demande», dit-il.

En d'autres mots, il faut certes former des philosophes, mais l'État n'aura plus les moyens de payer leurs études si ne forme pas davantage de comptables et des soudeurs qui trouveront des emplois payants et paieront beaucoup d'impôt.