S'il y a un indicateur qui représente bien le développement d'une société, c'est bien l'espérance de vie. Or, les chiffres pour le Québec sont tout à fait étonnants.

Cette semaine, Statistique Canada a publié des tableaux complets sur le sujet. L'agence présente l'espérance de vie des Canadiens à la naissance, mais également le nombre d'années que les Canadiens de tout âge peuvent espérer encore vivre. Les données sont présentées par province (https://www.statcan.gc.ca/pub/84-537-x/2 013 003/tbl-fra.htm).

De prime abord, on pourrait être porté à croire que les Québécois ont une espérance de vie plus faible que la moyenne canadienne. Les Québécois ont longtemps été plus pauvres, moins instruits et plus fumeurs. Le taux de décès dans les accidents automobiles a fortement baissé, mais demeure presque 50% plus élevé qu'en Ontario, par exemple, et deux fois plus important que dans les pays scandinaves.

Or, quelle ne fut pas ma surprise de constater que les Québécois peuvent espérer vivre plus longtemps que la moyenne, selon les données de Statistique Canada. L'espérance de vie, précisons-le, n'est pas l'âge moyen des personnes mortes, mais le nombre moyen d'années qu'un groupe de personnes peut espérer vivre, compte tenu du taux de mortalité.

Au Québec, l'espérance de vie des garçons nés entre 2007 et 2009 est de 78,7 ans (il s'agit des données les plus récentes). Les filles peuvent espérer vivre plus longtemps, comme partout dans le monde. L'écart avec les garçons est de quatre ans et demi au Québec (83,2 ans).

Les Québécois devraient planifier de vieux jours plus longs que les résidants des autres provinces, sauf pour l'Ontario et la Colombie-Britannique. Plus précisément, l'espérance de vie des filles du Québec est de deux ans de plus que pour celles de Terre-Neuve et de quatre mois de plus que pour celles d'Alberta. La moyenne canadienne pour les filles est de 83,1 ans.

Un écart de quelques mois est peu significatif, mais dans le cas du Québec, il est remarquable quand on sait que l'espérance de vie était nettement plus basse au Québec qu'ailleurs au Canada avant les années 60, explique le démographe Laurent Martel, de Statistique Canada.

Un autre indicateur est encore plus convaincant du progrès du Québec: l'espérance de vie en fonction de la santé. Cet indicateur mesure le nombre d'années qu'une personne peut s'attendre à vivre en bonne santé. Il est une mesure de la qualité de vie. Or, à ce chapitre, le Québec se démarque nettement de la moyenne canadienne (les données sont moins récentes, mais tout de même valables).

De 2005 à 2007, selon Statistique Canada, l'espérance de vie en santé des bébés féminins du Québec était de 72,6 ans. Il s'agit du meilleur score au Canada, même devant la légendaire Colombie-Britannique. L'écart du Québec avec l'Alberta est de 2,2 ans et avec Terre-Neuve, de 3,2 ans. C'est énorme! La différence avec la moyenne canadienne est de 1,4 an.

Les facteurs qui expliquent l'espérance de vie plus grande ou en meilleure santé sont nombreux, bien que difficiles à cerner avec précision. La composition de la population et les habitudes de vie sont certainement très importantes, explique M. Martel. Le niveau d'éducation d'une population - et donc ses connaissances des saines habitudes de vie - joue un grand rôle.

Il va de soi qu'une population qui s'alimente mal, qui fume davantage et qui ne fait pas d'activité physique est plus à risque. Un meilleur système de santé est aussi un facteur, comme pourrait l'être une société plus égalitaire.

Certains éléments sont incontrôlables. Les habitants du Nunavut, par exemple, ont une espérance de vie plus basse, ayant des conditions de vie plus difficiles, un accès moins grand aux légumes frais et aux soins de santé de pointe, entre autres, dit M. Martel. L'espérance de vie des filles à la naissance y est de 74 ans, soit neuf ans de moins que la moyenne canadienne.

L'environnement économique est également un facteur important, croit M. Martel. C'est l'humoriste Yvon Deschamps qui le disait: «Mieux vaut vivre riche et en santé que pauvre et malade.»

En général, donc, les pays plus avancés et plus riches ont une population qui vit plus longtemps. La Suède (82,6 ans) et la France (83,7 ans) ont des espérances de vie comparables au Canada, tandis que la Turquie (75,5 ans) ou la Russie (72,9 ans) ont des taux nettement plus bas (on compare toujours les femmes) 1.

Et bien sûr, les pays africains sont moins favorisés, avec des espérances de vie de 51,5 ans pour les femmes du Mali et de 41,7 ans pour celles d'Afrique du Sud. Le taux de contamination très élevé au virus VIH (SIDA) est l'un des éléments explicatifs.

Le Japon est le pays où les femmes peuvent espérer vivre le plus longtemps (85,6 ans), soit deux ans et demi de plus que les Canadiennes. Les États-Unis (80,2 ans) et Cuba (79,4 ans), avec ses médecins réputés, ont des taux semblables.

En somme, bien que le Québec soit plus pauvre et plus endetté que la moyenne canadienne, son système permet à ses résidants de vivre plus longtemps et en meilleure santé. Le Québec n'est pas la république de bananes que certains se plaisent à décrire.

1- La plupart des données mondiales proviennent du Human Mortality Database et sont légèrement différentes de celles de Statistique Canada.