À première vue, le plan vert déposé cette semaine par le chef libéral Stéphane Dion peut sembler alléchant. Résumée à l'extrême, l'idée consiste à taxer les pollueurs et à remettre le produit de cette taxe aux particuliers. On peut difficilement être contre ça!

À première vue, le plan vert déposé cette semaine par le chef libéral Stéphane Dion peut sembler alléchant. Résumée à l'extrême, l'idée consiste à taxer les pollueurs et à remettre le produit de cette taxe aux particuliers. On peut difficilement être contre ça!

Sauf que les choses ne sont pas aussi simples.

Les libéraux fournissent une pléthore d'informations sur les mesures fiscales qu'ils entendent introduire. Certaines d'entre elles reflètent l'indécrottable fixation libérale pour la «redistribution de la richesse», et n'ont strictement rien à voir avec la taxe sur le carbone. Par exemple, le crédit d'impôt pour emploi sera supprimé pour tous les «riches» qui gagnent plus de 50 000$, et remplacé par un crédit plus généreux pour tous les autres. Cherchez le rapport avec l'environnement.

Autant le document est-il prolifique sur les multiples façons de dépenser le produit de la nouvelle taxe, autant il est discret sur les sources de revenus. On nous dit que la taxe sera de 10$ pour chaque tonne d'émission de gaz à effet de serre, puis qu'elle augmentera de 10$ par année pendant trois ans, pour atteindre 40$ la quatrième année. À ce moment, elle devrait rapporter 15,3 milliards, de quoi financer amplement d'éventuelles baisses d'impôts.

Ce chiffre semble toutefois en deçà de la réalité.

Au Canada, les émissions de gaz à effet de serre ont atteint 721 millions de tonnes en 2006, dernière année pour laquelle on dispose de statistiques complètes.

Assez curieusement, les achats d'essence à la pompe échapperont à la taxe sur le carbone. Pourtant, les voitures et les camions sont, de loin, les premiers responsables de la pollution au Canada, devant les centrales thermiques, les pétrolières, les producteurs agricoles, le secteur de la chimie, les cimenteries, et toutes les méchantes compagnies que l'on désigne généralement comme les gros pollueurs.

Dans ces conditions, pourquoi exempter l'essence à la pompe? C'est, nous dit le document libéral, parce qu'elle est déjà taxée au taux de 10 cents le litre, ce qui équivaut à 42$ la tonne de gaz à effet de serre. Le prétexte est fallacieux. Les libéraux ne toucheront pas aux automobilistes parce qu'ils ne veulent pas se mettre des millions d'électeurs à dos, c'est aussi simple que cela.

Toujours est-il que les voitures particulières et les camions envoient chaque année 134 millions de saletés dans l'air. En se basant sur les chiffres de 2006, la taxe se serait donc appliquée sur 587 millions de tonnes. À 40$ la tonne, nous ne parlons plus de 15, mais de 23 milliards.

La facture risque donc d'être pas mal plus salée que prévue.

Qui paiera pour ça?

On vient de le voir, le pollueur numéro un, l'automobiliste, est exempté.

Au deuxième rang, avec 117 millions de tonnes, arrive la production d'énergie et de chaleur, c'est-à-dire les centrales thermiques qui fournissent de l'électricité à partir du pétrole ou du charbon. À 40$ la tonne, la taxe sur le carbone coûtera 4,7 milliards à ces usines. Évidemment, ce montant sera ajouté aux coûts d'exploitation, et refilé aux clients résidentiels, commerciaux, institutionnels et industriels. Les ménages seront donc touchés de deux façons: leur facture d'électricité grimpera en conséquence, et les entreprises monteront leurs prix pour se protéger elles-mêmes. Le Québec ne sera pas touché par cela parce qu'il se fournit à l'hydro-électricité, qui ne produit aucun gaz à effet de serre.

Par ordre d'importance, vient ensuite l'industrie pétrolière, avec 68 millions de tonnes. Donc, une facture de 2,7 milliards. Les pétrolières n'ayant pas particulièrement la cote ces temps-ci, on pourrait se réjouir: tant mieux, qu'elles paient, elles en ont les moyens. Sauf que, dans la vraie vie, il y a de grosses chances qu'elles fassent financer cette nouvelle dépense par leurs clients, les automobilistes.

L'agriculture, avec 62 millions de tonnes, paiera 2,5 milliards. C'est en faisant leur marché que les consommateurs verront la différence.

Au cinquième rang arrivent les procédés industriels (production minérale et métallurgique, industrie chimique, entre autres) avec 54 millions de tonnes. La taxe sur le carbone coûtera 2,2 milliards aux entreprises de ce secteur et, comme les centrales thermiques, les pétrolières et les producteurs agricoles, elles ajusteront leurs structures de prix en conséquence.

On pourrait continuer la liste longtemps.

«Il nous faut absolument faire des progrès véritables dans la lutte contre les changements climatiques», écrit Stéphane Dion dans son document. Il a raison, bien sûr. Mais il est loin d'être certain que sa taxe sur le carbone soit la meilleure façon d'y arriver. Sur le plan de l'environnement, le projet épargne le pollueur numéro un; sur le plan financier, ce que les contribuables gagneront d'une main, les consommateurs le perdront de l'autre, et il est probable qu'à tout prendre, ils finissent par y perdre au change.