Vous trouverez peut-être cela étrange, mais en 20 ans de journalisme culturel, l’une des personnes que je souhaitais le plus rencontrer est Nathalie Simard.

Elle est l’image même de la survivante et, contre toute attente, elle s’apprête à remonter sur scène pour ses 40 ans de carrière. En dépit de tout et du fait qu’elle avait juré ne pas y revenir.

Son histoire m’a toujours bouleversée et continue de me remuer.

Peut-être parce que le premier spectacle que j’ai vu de ma vie était celui de René Simard à la Place des Arts en 1980, dans lequel elle participait. Mes souvenirs sont flous, j’étais très jeune et assise très loin, mais je me rappelle m’être identifiée spontanément à cette petite fille. J’ai eu ma toquade, brève mais intense, sur Nathalie Simard. J’exigeais ses albums et sa coupe de cheveux. Comme des milliers de petites filles qui portaient toutes la même coupe et réclamaient les tonnes de produits dérivés.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Nathalie Simard lance une nouvelle tournée.

J’étais surtout persuadée que Nathalie Simard vivait dans un monde enchanté, rose bonbon et merveilleux, pendant que je vivais ma vie trop ordinaire. J’avais bien sûr tout faux. On finit par comprendre que le seul monde enchanté est celui de l’enfance heureuse. Pendant que j’usais mes bottines à jouer à la marelle et que j’allais à l’école, comme une enfant, Nathalie travaillait. Et se faisait exploiter de toutes les manières.

S’il devait y avoir une version québécoise du Hollywood Babylon de Kenneth Anger, les petits Simard devraient y avoir un chapitre. En fait, rien ne me révulse plus que les histoires d’enfants vedettes jetés en pâture au public et transformés en produits de consommation jetables dont on tire le jus jusqu’aux premiers boutons d’acné. Elles sont rares, celles qui se passent bien. Pensons à Jordy, Drew Barrymore, Macaulay Culkin, Corey Haim, Edward Furlong, Britney Spears, River Pheonix...

Le showbiz n’a jamais été et ne sera jamais un endroit pour les enfants. Et c’est avec ça que je commence en rencontrant Nathalie Simard.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Nathalie Simard, en spectacle à la Place des Arts en 1985

« C’est drôle, parce que des fois, j’entendais parler mon entourage, les gens disaient que ce n’était pas facile, la vie des enfants vedettes, mais je ne me voyais tellement pas là-dedans, dit-elle. Parce que je n’étais pas consciente de ce que je vivais, parce que je n’étais pas préparée à ça. À cet âge-là, on ne peut pas choisir, on n’a pas les outils nécessaires, on est impressionné, intimidé. J’étais une enfant très timide. Je voulais plaire et ne pas déranger, je m’excusais d’exister tout le temps. Et ça a duré des années. Quand j’ai dénoncé, j’étais encore une enfant dans un corps de femme. Et je le suis restée longtemps. »

Le parcours de Nathalie Simard dit quelque chose du milieu artistique de l’époque, décrit de façon impitoyable dans le film Parlez-nous d’amour de Jean-Claude Lord. Comment on y traitait les enfants.

Une chose que je ne suis jamais parvenue à comprendre est la facilité avec laquelle son agent a pu obtenir sa garde légale. Qui était là pour protéger Nathalie ? Comment a-t-elle pu être si seule ? Je n’ai pas envie de la torturer avec ça, elle en a assez bavé, et je sais que c’est l’aspect le plus sensible de sa vie. Mais elle me répond quand même.

Je ne sais pas comment ça s’est passé. On parle d’un monstre qui arrive dans une famille pauvre, avec ses gros manteaux de fourrure, la grosse Cadillac. On est tellement facilement impressionné par le milieu du showbiz.

Nathalie Simard

« C’est le parc Belmont, c’est la Ronde, c’est l’Expo. Quand tu as de la misère à manger, que tu te passes les culottes de génération en génération... C’est de l’intensité. C’est ça, le pouvoir malsain. Les enfants dans le showbiz sont comme des petits Nemo entourés de requins. Le pouvoir crée les pires désirs, il s’imagine qu’il peut tout faire, que ça lui donne le droit à tout. C’est de la poudre aux yeux. C’est un beau manteau de fourrure, mais quelque part, c’est un beau manteau de marde ! »

On éclate de rire toutes les deux. Un rire profond et sincère qui dure longtemps.

Redonner les beaux souvenirs

En 2019, on commence à peine à comprendre la complexité des cas d’agressions sexuelles. Pourquoi les victimes gardent le silence, ce qui se cache derrière leurs incohérences ou leurs errances qui jettent le doute sur leurs révélations (c’est très bien décrit dans l’excellente série Unbelievable sur Netflix). Quand Nathalie Simard a décidé de prendre la parole publiquement en 2005, j’ai pensé : si les aveux de son agresseur n’avaient pas été enregistrés, personne ne l’aurait crue. Et je lui dis. « Oh, je serais morte », croit-elle.

Nathalie Simard était alors dans un creux de carrière (d’autres creux allaient suivre), tout le monde pouvait imaginer la vengeance d’une ex-enfant star aigrie, en quête d’argent. Et nous étions presque 15 ans avant le mouvement #metoo.

« Même encore aujourd’hui, on a cette pensée-là, parce que c’est une pensée facile, note-t-elle. Le mouvement #metoo a été pour moi un méga cadeau. C’est comme si j’avais plein de monde qui venait me donner une tape dans le dos. Tu n’es plus seule. Nous sommes toutes là, même si on ne se connaît pas. Ces actrices ont toutes expliqué pourquoi elles avaient attendu des années. Parce qu’elles se faisaient menacer. Si tu parles, tu n’auras plus de job. Alors que moi, pendant 15 ans, je me suis fait dire que je faisais ça pour le cash. Ben non. J’ai tout perdu. Tout. Il n’y a pas de cadeau là-dedans. »

Sinon le cadeau qu’elle s’est fait à elle-même en prenant la parole. Et la suite n’a pas été facile. Nous avons tout su de ses déboires, de ses mauvais choix, de ses échecs. Sa dernière tentative de tournée s’est terminée en queue de poisson il y a dix ans, et lorsqu’elle a annoncé qu’elle quittait le showbiz, j’étais presque soulagée pour elle.

Alors pourquoi veut-elle retourner aujourd’hui sur les planches ? Lancer un nouvel album de ses plus grands succès ? Après tout qu’elle a vécu ?

Parce que c’est sa carrière. C’est elle qui travaillait. Et il y a des choses qu’elle aimait dans ce métier d’interprète qu’elle dit assumer aujourd’hui, « parce qu’avant, je ne me trouvais pas bonne ». Nathalie Simard n’a jamais rien voulu d’autre que reprendre possession de sa vie, parfois maladroitement, mais toujours avec courage. À 50 ans, elle est resplendissante, et cela n’a pas à voir, selon moi, avec sa perte de poids, après une chirurgie bariatrique, qui lui a valu des accusations de grossophobie (combien de fois faudra-t-il répéter qu’une femme fait ce qu’elle veut avec son corps, coudonc ?). Je l’ai toujours trouvée belle, peu importe son poids. C’est surtout qu’elle a l’air vraiment heureuse.

Nathalie Simard veut aussi réinvestir son répertoire pour redonner à son public ses beaux souvenirs, parce qu’elle a l’impression d’avoir brisé une magie en dénonçant son agresseur. « C’est une autre répercussion de ça. Il faudrait que je reste dans mon sous-sol, que je ne bouge pas, que je ne fasse plus rien. Non, ce n’est pas de même que ça marche. On va donner une autre image, une belle image, positive. Je suis un être humain, j’ai une vie à vivre, j’ai 50 ans, il me reste encore plein de belles années. Je n’ai jamais été plus en forme physiquement et psychologiquement. Why not ? J’ai de quoi à apporter et j’ai le droit. Alors j’ose, avec ma petite personne, pour poursuivre et pour ceux qui vont avoir envie d’être là, on va vivre un maudit beau moment d’amour. On n’est pas là pour brailler nos vies, souffrir et s’ouvrir les veines. Ce temps-là est révolu, j’avance vers l’avenir, le bonheur et la gratitude. On va avoir du fun ! »

Néanmoins, elle est parfaitement consciente du scepticisme qui entoure ce retour. On a toujours douté du talent de Nathalie Simard qui a suivi sans l’avoir demandé les traces de son grand frère considéré comme LE phénomène à l’époque, et avec lequel elle est aujourd’hui en très bons termes. « J’ai réalisé que j’étais une chanteuse, que j’avais le droit de chanter. Je ne peux pas me laisser polluer par mon passé. C’est tout ce que je sais faire, et je crois humblement que je le fais bien. J’ai réalisé que c’était ma place. Sauf que revenir aujourd’hui sur les grandes scènes, c’est un gros mandat. On n’est plus à l’époque des petits Simard qui vendaient 200 000 ou 300 000 albums et qui remplissaient la Place des Arts pendant une semaine. Ça prend beaucoup d’humilité, il faut être prêt à tout, mais je suis prête pour ça. Alors pourquoi je me priverais ? On va se reconstruire de beaux souvenirs avec ce show-là, avec la Nathalie d’aujourd’hui. »

Elle et sa petite équipe se sont posé beaucoup de questions sur ses chansons pour enfants, mais on les lui rappelle tellement qu’elle ne pouvait pas ne pas les inclure dans son spectacle, dans lequel elle chantera aussi du Whitney Houston, du Prince, et du Melissa Etheridge. « On a voulu me les enlever, je trouve ça important de les avoir », précise-t-elle. Après tout, L’amour a pris son temps ou Goldorak sont d’immenses succès de karaoké qu’on continue de chanter. On dirait que Nathalie Simard veut nous redonner notre enfance, à nous aussi.

« Tu sais, le spectacle que tu es venue voir à la Place des Arts ? me demande-t-elle, soudainement. Quand j’étais toute petite, à peu près à tous les spectacles, quand ça commençait à jouer, j’étais en train de vomir dans les coulisses parce que j’étais terrorisée. J’entrais, je ne savais pas ce que je faisais là, j’étais comme un chien dans un jeu de quilles, mais après la première chanson, quelque chose s’installait et c’était correct. En grandissant, j’ai compris que j’avais une réelle passion, et que la scène était ce que j’aimais le plus, parce que j’étais en liberté, parce que j’avais du fun. Ce que tu m’as dit de tes beaux souvenirs, ça me touche, ça fait du bien, parce que ça donne un sens à tout. Ce moment féerique que tu as vécu et que le public a vécu avec moi, c’est ça qu’il faut garder comme souvenir. Elle est là, la beauté, et il faut oublier le reste. »

Je t’aime pour toujours, Nathalie Simard. Peu importe ce qui arrivera.

La tournée Nathalie Simard – L’amour a pris son temps, commence le 11 octobre à Gatineau, avec un passage à Montréal le 11 novembre à la Cinquième Salle de la Place des Arts. Elle est accompagnée de l’album compilation L’amour a pris son temps – 40 ans de carrière.