Au début du mois d’août, Cindy Crawford, l’une des plus célèbres top-modèles des années 90, 53 ans aujourd’hui, a publié une photo d’elle en bikini sur Instagram. En la regardant, je savais que plein de filles de 20 ans seraient prêtes à vendre leur âme au diable pour avoir ce corps, même si c’est un corps de « quinqua » (le nouveau mot cool pour parler des quinquagénaires). Et malgré ça, c’est inévitable, des internautes n’ont pas manqué de reprocher à la mannequin de poser trop dévêtue « pour son âge ».

Si on suggère à Cindy Crawford – Cindy Crawford, bon Dieu ! – d’aller se rhabiller parce qu’elle est trop vieille, imaginez maintenant comment on vous traite quand vous ne correspondez pas aux impossibles standards de la beauté, peu importe votre âge.

Par hasard, je venais tout juste de terminer au chalet la lecture d’Affamée : Une histoire de mon corps de Roxane Gay, la célèbre autrice de Bad féministe. Dans cet essai, traduit au printemps en français, elle décrit en détail les difficultés liées à son surpoids. Une condition qui s’est développée après avoir subi un viol collectif à 12 ans. Roxane Gay est noire, bisexuelle et désignée dans la langue médicale comme « obèse morbide ». Tout ce qu’il faut pour se faire intimider, quoi. Dans ce livre pas mal bouleversant, elle parle essentiellement de son poids, et peu de sa couleur de peau ou de son identité sexuelle. 

Même en devinant que ça ne doit pas être facile de vivre avec l’obésité, je ne comprenais pas à quel point il s’agit d’une lutte de tous les instants. Les jugements et les insultes. Les sièges d’avion et de cinéma comme chaises de torture. La difficulté de trouver de beaux vêtements, l’épreuve de les essayer en magasin. Le regard des gens quand vous osez manger un burger au restaurant. Leurs ricanements quand vous vous entraînez au gym, même quand vous faites mieux qu’eux. La surdité des médecins quand vous allez consulter pour n’importe quel problème de santé, qu’ils ramènent toujours à votre poids. L’inquiétude des parents, la surveillance des calories, l’autopunition, les désordres alimentaires. La haine de soi, surtout, qui en résulte. Alors oui, on comprend très bien pourquoi ça donne envie de gambader nue dans la nature comme dans le nouveau vidéoclip Lesbian Break-Up Song de Safia Nolin. Juste pour respirer un peu.

La liste des humiliations est déjà longue pour les gens au physique « atypique ». Elle est interminable dès que vous êtes une femme, dans une société où l’on s’autorise à constamment juger les femmes sur leur apparence, comme si leurs corps étaient du domaine public en toutes circonstances. 

De fait, Roxane Gay souligne que son surpoids la rend sur-regardée, alors qu’après son agression, son plus grand désir était de disparaître. Engraisser pour faire fuir le danger, après son traumatisme, ne l’a pas protégée, au contraire. Et elle explique très bien comment la société veut soumettre violemment les corps « indisciplinés », ce qui concerne à peu près toutes les femmes si le standard est la taille zéro des magazines et l’âge de 18 ans, un sommet.

Alors quand j’ai vu hier ce clip avec Safia Nolin, une création de Bien à vous studio et The Womanhood Project, j’ai compris pourquoi l’animatrice Rebecca Makonnen expliquait avoir fermé ses commentaires en le partageant sur Twitter. Si Cindy Crawford y passe, personne n’est à l’abri. Dans ce clip, d’une grande douceur, juste très libre, Safia Nolin est nue, avec d’autres femmes de tous les gabarits. Du bonbon pour les trolls.

« Ce ne sont pas des corps qui sont là pour être jugés ou pour être désirables, a écrit Safia Nolin sur sa page Facebook. Ce sont des corps qui sont là pour exister, c’est tout. »

Il y en a qui dénoncent, dans ce désir de simplement exister physiquement que nous découvrons dans plusieurs initiatives reliées à la diversité corporelle, la glorification de corps jugés « malades ». En oubliant qu’un corps jugé parfait peut cacher encore mieux la morbidité. Mais évitons ici la niaiserie d’une opposition entre les corps, puisque Safia Nolin et Cindy Crawford, au fond, c’est le même combat : exister, peu importe l’enveloppe corporelle.

Les gens qui policent le corps des autres sont trop lourds. Et on sent, avec des femmes comme Safia Nolin ou Roxane Gay (et pourquoi pas Cindy Crawford), qu’un jour, ils ne feront plus le poids.