Il existe de bons films de hockey. De tennis. De course. De golf. De baseball. De football. De basketball. Même de cricket.

Mais pas de natation.

Pourquoi ?

Le réalisateur Pascal Plante ne comprend pas. Lui-même est un ancien nageur d’élite qui a remporté des médailles au niveau national. « J’ai fait des recherches. Et pour les fictions, c’est le désert. Zéro. Il n’y en a juste pas. Pourtant, la natation, c’est très cinématographique. L’eau, le mouvement, les ambiances sonores… »

Alors pour son deuxième long métrage, Pascal Plante s’est fait plaisir. Il a écrit un film campé dans l’univers de la natation. Ça s’appelle Nadia Butterfly. Nadia, comme le prénom du personnage principal, une nageuse qui fait face à la retraite. Butterfly, pour le style de nage papillon.

Pour s’assurer que son scénario tenait la route, le réalisateur de 30 ans a demandé des conseils. Notamment à deux médaillées des Jeux de Rio, Sandrine Mainville et Katerine Savard. « Je leur payais le souper, on jasait du scénario. À la bonne franquette. Le premier souper avec Katerine, c’était cool. Deuxième souper : encore cool. Je reviens chez nous. Je jase avec ma productrice. Je lui dis : “Heille, le personnage de Nadia, c’est peut-être pour Katerine, finalement.” »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Katerine Savard

Réponse de la productrice : « Heu… non. »

Puis le « non » est devenu un « peut-être ».

« On a épié toutes les traces de Katerine en ligne. Comme c’est souvent le cas avec les athlètes, elle avait fait beaucoup d’entrevues. On a tout de suite vu qu’elle était touchante. »

Pascal Plante place sa main sous son menton. « Avec Katerine, l’émotion est toujours là. Elle a la jauge très haut. Une fragilité qui est le fun pour un réalisateur. »

L’audition a confirmé son intuition. Katerine Savard, la meilleure nageuse québécoise de l’histoire, jouera le rôle de Nadia. Un très rare double emploi pour une athlète qui fait encore de la compétition.

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Je prends mon calepin de notes et me dirige de l’autre côté de la piscine du Parc olympique. Katerine Savard se prépare pour une longue soirée de tournage.

C’est la première fois qu’on se rencontre. Ce qui frappe, c’est son énergie. Une tornade. Elle joue avec ses cheveux. Étire son chandail. Se tortille. Je n’ai pas encore posé ma première question que déjà elle répond.

« J’aime vraiment ça ici. C’est tripant. Et moi, ça me prend de l’action. Je ne suis pas capable d’avoir une vie monotone. »

À 26 ans, sa vie est déjà bien remplie. Tous les nageurs envient son palmarès sportif : 

• médaillée de bronze aux Jeux de Rio

• médaillée d’or aux Jeux du Commonwealth

• médaillée d’or aux Jeux panaméricains

• médaillée d’or aux Jeux mondiaux universitaires

En parallèle, elle vient de terminer son baccalauréat en enseignement au primaire. Elle donne des conférences. Elle agit comme porte-parole pour de bonnes causes. Et maintenant, elle entre dans le cinéma par la grande porte. Un premier rôle dans un long métrage.

J’ai vécu beaucoup de choses. Plus que beaucoup de gens de mon âge. J’ai visité 50 pays. Je suis montée sur le podium olympique. Je croyais que je n’allais plus jamais retrouver cette montée d’adrénaline. Le high que procure le sport. Et là, arrive ce projet. C’est juste… wow. C’est palpitant.

Katerine Savard

Le projet tombe à point. Car comme Nadia dans le film, Katerine Savard est à la croisée des chemins. L’année dernière, elle a arrêté de nager pendant une longue période de temps. Elle a voyagé pendant trois mois en Asie. Elle s’est posé beaucoup de questions. Comme le font les premières de classe.

« Je suis très exigeante envers moi-même. C’est normal. Je pense que les meilleurs – peu importe le domaine – sont ceux qui se préoccupent le plus de la perfection. Prends la natation. Pour gagner les derniers centièmes de seconde, il faut que tout soit parfait. C’est la même chose sur un plateau de tournage. Des fois, il faut recommencer une scène. Et là, je ne me trouve pas bonne. Même quand ce n’est pas à cause de mon jeu. Je me pose plein de questions. Heureusement, Pascal me rassure beaucoup. »

Lorsque le film prendra l’affiche, l’été prochain, il y aura forcément des critiques. Des positives, mais aussi des négatives. Elle pense que son expérience sportive l’aidera à mieux gérer cette situation.

« Il y a quelques années, j’étais plus fragile. Plus sensible à ce que les autres disaient de moi. Maintenant, dans la piscine, je n’ai plus rien à prouver. J’ai déjà gagné les médailles. Personne ne pourra me l’enlever.

— Avez-vous senti de la jalousie de la part d’autres actrices ?

— Non. Mais dans le milieu de la natation, le film fait beaucoup jaser. Là, j’ai ressenti de la jalousie. C’est normal. Les gens n’ont rien vu encore, mais ils commentent déjà. Probablement que lorsque le film sortira, des gens vont dire des choses qu’on ne veut pas entendre… »

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Je vous racontais que Katerine Savard avait mis sa carrière sportive en veilleuse l’année dernière. Depuis, elle a recommencé à nager.

C’est l’entraîneur des Carabins de l’Université de Montréal qui l’a approchée. « Il m’a offert de nager avec les gars de son équipe. Sans pression. J’ai adoré. » Elle a repris goût à la compétition. Contre toute attente, elle s’est même qualifiée pour les Jeux panaméricains.

Une excellente nouvelle.

Sauf que ça tombait en même temps que le tournage de Nadia Butterfly. Et tout avait été réservé : les techniciens, l’équipement, les plateaux.

« Heureusement, Pascal [Plante] a été très compréhensif. Comme il est un ancien nageur, il savait ce que les Jeux représentaient pour moi. Il s’est arrangé pour reporter le tournage de deux semaines. »

Katerine Savard a donc pu se rendre au Pérou pour la compétition. Elle est revenue avec trois médailles autour du cou, un grand sourire et motivée comme jamais. Tout pour plaire à son réalisateur, qui la couvre d’éloges.

« Tu sais quoi ? me lance Pascal Plante. Je vais faire un jeu de mots poche, mais c’est ça pareil. Sur un plateau, Katerine est comme un poisson dans l’eau. »

Voyez des photos du tournage de Nadia Butterfly dans notre section Arts et être d’aujourd’hui.