Andre De Grasse contre Aaron Brown. Deux des sprinteurs les plus rapides de la planète. Deux têtes d’affiche rêvées pour la finale du 100 mètres des Championnats canadiens d’athlétisme, ce soir, à Montréal.

La course durera 10 secondes. Peut-être un peu plus. Peut-être un peu moins. Après quoi les deux hommes mettront leur rivalité de côté pour redevenir amis.

Je sais, ça ressemble au synopsis d’un épisode des Calinours. Mais les deux athlètes sont vraiment copain-copain. Ça dérange ? Un peu. « Parfois, l’entraîneur n’aime pas ça », a révélé Aaron Brown, mi-blagueur, mi-sérieux, hier en conférence de presse.

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

À moins d’un imprévu, Aaron Brown et Andre De Grasse courront côte à côte, ce soir, en finale du 100 mètres.

Une fois les caméras éteintes, je suis allé en discuter avec Andre De Grasse. Cette histoire d’amitié est étonnante. Les sprinteurs ont plutôt la réputation d’avoir besoin d’une bulle d’intimité grosse comme un ballon de kinball.

« Nous nous sommes d’abord rencontrés aux Championnats canadiens de 2014, m’a raconté De Grasse. Un mois plus tard, nous étions camarades de chambre aux Jeux du Commonwealth. C’est là qu’on s’est vraiment connus. J’avais 19 ans. Aaron était un peu plus vieux [22 ans]. On a beaucoup parlé. De la vie. De la course. »

Après les Jeux, les deux coureurs sont restés en contact. Andre De Grasse terminait son secondaire, en Ontario. Il souhaitait faire ses études supérieures aux États-Unis. Mais où ? Il ne le savait pas vraiment.

« J’ai appelé Aaron pour lui demander conseil. Je savais qu’il étudiait à l’Université de Californie du Sud. Il m’a dit : “Viens visiter l’université.” C’est ce que j’ai fait. J’ai pu voir comment il vivait. Il m’a montré les dortoirs, le campus. C’est à ce moment que je me suis dit : “OK, c’est là que je veux aller à l’université.” »

L’automne suivant, Andre De Grasse déménageait à Los Angeles. Aaron Brown, lui, s’établissait en Floride pour amorcer sa carrière professionnelle. Malgré les 4000 kilomètres qui les séparaient, ils ont continué à échanger des textos.

« On se donnait souvent rendez-vous en ligne pour jouer à la PlayStation.

— À quels jeux ?

— NBA 2K, Call of Duty.

— Maintenant, avec un bébé, ça doit être plus difficile ?

— Ouais. Je n’ai plus le temps. Les priorités ont changé [rires]. On reste dans le même groupe de poolers. On participe à des pools de basketball, d’athlétisme… »

Des pools d’athlétisme ? Ça existe vraiment ? « Oui ! Il faut choisir les gagnants des compétitions de la Ligue de diamant. Je mise sur moi, et Aaron mise sur lui [rires]. On essaie surtout de deviner les gagnants des autres disciplines. »

Les deux hommes se croisent moins souvent qu’avant. « On se voit aux Championnats du monde, dans la Ligue de diamant. Et aux Championnats canadiens, comme ici ! »

PHOTO FRED CHARTRAND, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Andre De Grasse et Aaron Brown se disputent parfois la victoire sur les pistes d'athlétisme. La compétition terminée, les deux Canadiens mettent leur rivalité de côté pour redevenir amis. Sur la photo, on les voit aux Championnats canadiens d’athlétisme de 2017.

À moins d’un imprévu, ils courront côte à côte, ce soir, en finale du 100 mètres. Triple médaillé aux Jeux de Rio, Andre De Grasse, 23 ans, se remet de deux années marquées par des blessures. Un chrono de 9,99 s la semaine dernière, à Londres, l’a remis en confiance. Aaron Brown, 27 ans, est le champion canadien en titre. Il a couru le 100 mètres en 10,07 s à Lausanne au début du mois. Il prendra aussi part au 200 mètres, dimanche, une distance qu’il peut parcourir en moins de 20 secondes. De Grasse, lui, a préféré passer son tour. Le 100 mètres sera donc le seul affrontement entre les deux amis ce week-end à Montréal.

Laquelle des deux courses Brown préférerait-il gagner ?

« Vous venez de dire qu’[Andre] ne fera pas le 200. Alors ce sera le 100 ! »

Bébé dort

Andre De Grasse est donc un jeune papa. La paternité l’a-t-elle changé ? « Oui. J’ai dû grandir. Être plus responsable. Plus mature. Maintenant, il y a quelqu’un d’autre qui dépend de moi. Ç’a été un défi les premiers mois. Surtout avec le sommeil. Ça va un peu mieux aujourd’hui.

— Le bébé dort combien d’heures par nuit ?

— Entre 8 et 10. »

Il a vite compris qu’il n’aurait droit ni à la pitié de mon collègue Yves Boisvert ni à la mienne.

« Je sais, je sais, je suis chanceux. On n’a plus besoin de se lever la nuit, maintenant… »

L’alibi

La coureuse de demi-fond Melissa Bishop, 30 ans, découvre aussi les joies d’être parent. « Je ne sais pas comment l’expliquer. Comme mère, quand tu as un enfant, tu te sens simplement plus forte. »

PHOTO TIM IRELAND, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Melissa Bishop, en 2017

À sa première compétition au retour de son congé, elle a d’ailleurs réalisé son meilleur chrono à vie au 1500 mètres. D’accord, ce n’était pas sur sa distance habituelle (le 800 mètres), mais un record reste un record. Un exploit pour une athlète qui a donné naissance il y a seulement un an.

Si je vous parle de Melissa Bishop, c’est que c’est une des meilleures coureuses canadiennes. Elle avait terminé quatrième au 800 mètres des Jeux de Rio, en 2016. Derrière trois athlètes hyperandrogènes. Ces femmes produisent une grande quantité de testostérone, ce qui leur donne une apparence masculine. La fédération internationale veut obliger ces athlètes à réduire leur taux de testostérone si elles veulent courir parmi les femmes. Le Tribunal fédéral suisse n’est pas d’accord.

J’ai demandé à Melissa Bishop ce qu’elle en pensait.

« Est-ce que je peux être honnête ? Il y a tellement de choses qui se passent dans ma vie en ce moment [avec le bébé]. Nous ne regardons même plus la télévision chez nous. [Cette histoire] m’a complètement échappé. »

C’était la première fois qu’un athlète me servait cet alibi. Deux morceaux de robot pour l’originalité.

À ne pas manquer aujourd'hui

Le 100 mètres hommes (finale à 21 h 20). Andre De Grasse contre Aaron Brown. LE duel de ces championnats.

Le 100 mètres femmes (finale à 21 h 20). Audrey Leduc, championne canadienne junior en titre, tentera de se qualifier pour la finale.

Le saut en longueur hommes (finale à 19 h). Les Québécois Jesse Thibodeau et Stevens Dorcelus sont les deux Canadiens les mieux classés.

Les demi-finales du 800 mètres femmes (19 h 20). Entrée en scène de Melissa Bishop et de la Québécoise Maïté Bouchard, qui tente de réussir son standard pour les Championnats du monde.