Quel est le secret des équipes championnes?

La question obsédait Sam Walker depuis trop longtemps. Il lui fallait trouver la réponse. Le reporter du Wall Street Journal a donc compilé une liste de toutes les équipes championnes. Tous sports confondus. Du hockey sur glace à la version sur gazon, sans oublier le football gaélique.

L’échantillon comptait plus d’un millier de clubs. Parmi eux, Sam Walker a désigné 16 « super champions ». Des formations qui ont connu des succès continus dans un championnat hautement compétitif. Ses recherches l’ont mené dans 10 pays. Il est notamment venu à Montréal pour se renseigner sur la dynastie du Canadien des années 50. Il a retourné toutes les pierres. Cent fois plutôt qu’une.

Tout ce tatillonnage pour répondre à une question : quel est l’ingrédient commun des « super champions » ? Un budget illimité ? Une méthode d’entraînement révolutionnaire ? Un coach extraordinaire ?

Non. La réponse était pas mal plus simple.

Un capitaine exceptionnel.

Une personne capable d’exploits plus grands que nature. Pensez à Maurice Richard. À Mireya Luis, une volleyeuse cubaine qui a participé aux Championnats du monde 14 jours après avoir accouché. À Wayne Shelford, légendaire rugbyman des All Blacks, qui a terminé un match avec un testicule flottant au vent. Un adversaire avait lacéré son scrotum avec un coup de crampons.

Les faits d’armes des 16 capitaines sont colligés dans The Captain Class, un essai que je vous recommande fortement. Sam Walker a la plume facile. C’est aussi un fin observateur. Il a remarqué que les 16 capitaines présentaient 7 caractéristiques communes. 

1. un style de jeu agressif qui teste les limites des règles ;

2. une volonté de réaliser le travail ingrat dans l’ombre ;

3. un contrôle émotionnel ;

4. un acharnement extrême en compétition ;

5. une communication discrète et démocratique ;

6. une capacité de motiver les autres sans parler ;

7. le courage de se démarquer.

Sept attributs qui décrivent bien un des capitaines de cette finale de la Coupe Stanley. Un joueur que les partisans du Canadien connaissent trop bien.

Zdeno Chara.

PHOTO GREG M. COOPER, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Zdeno Chara et Patrice Bergeron

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Commençons par le dernier point de la liste. Le courage de se démarquer.

Dans le milieu conservateur de la LNH, Zdeno Chara détonne. Par sa hauteur — tant au sens littéral (6 pi 9 po) que figuré. Le capitaine des Bruins de Boston est capable d’élever la discussion au-delà des banalités servies à la douzaine par les autres.

Le géant slovaque maîtrise six langues. II est végétalien par conviction. Il possède sa licence d’agent immobilier et un diplôme en finance. Il milite pour les droits des homosexuels. Il a aussi grimpé le mont Kilimandjaro afin d’amasser des fonds pour l’organisme Right To Play.

Depuis quand Zdeno Chara assume-t-il sa différence ? Depuis sa petite enfance, m’a-t-il raconté à la fin d’un point de presse, dimanche, à Boston.

« Quand j’étais jeune, je ne ressentais pas la pression de jouer dans le carré de sable avec les autres enfants. De faire la même chose qu’eux. J’étais capable de m’éloigner. D’être seul. De trouver une activité qui allait rendre mon moment intéressant. Je choisissais mon propre chemin. Pour moi, être un leader, c’est ça. L’idée, ce n’est pas d’être égoïste ou de vouloir s’isoler. C’est d’être assez confiant pour pouvoir gérer des situations soi-même. »

En fait, le défenseur des Bruins a pris un détour pour répondre à ma question initiale, qui était : à quel moment as-tu réalisé que tu possédais les qualités d’un meneur ?

« Dès que j’ai commencé à faire du sport, j’ai ressenti que je pouvais donner l’exemple. De la façon dont j’agis, je joue, je me comporte. À bien y penser, très jeune, j’étais déjà un leader. » — Zdeno Chara

Zdeno Chara a maintenant 42 ans. Il a côtoyé des centaines de joueurs. Notamment Jaroslav Halak, avec les Bruins et l’équipe nationale de la Slovaquie. J’ai demandé à l’ancien gardien du Canadien de décrire le leadership de son compatriote.

« C’est un leader naturel. Tout le monde le respecte. Pas juste chez les Bruins, mais dans toute la ligue. Il agit pareillement avec l’équipe nationale. Son niveau d’intensité reste toujours élevé.

— Est-il le gars qui choisit la musique dans le vestiaire ? 

— [Sourire] Non. C’est plus un gars au style décontracté. Mais quand le moment est propice, il parle. Il communique bien avec les gars. Il sait trouver les bons mots. »

PHOTO WINSLOW TOWNSON, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

« Dès que j’ai commencé à faire du sport, j’ai ressenti que je pouvais donner l’exemple. De la façon dont j’agis, je joue, je me comporte. À bien y penser, très jeune, j’étais déjà un leader. » — Zdeno Chara

Zdeno Chara est un apôtre de la « communication discrète et démocratique ». C’est une de ses grandes forces, reconnaissent ses coéquipiers. Un bon exemple : la semaine dernière, le capitaine des Bruins s’est prononcé sur la différence de statut entre les vétérans et les recrues de l’équipe. Au sein de presque toutes les équipes professionnelles, un ordre hiérarchique naturel se forme, selon les états de service. Pas dans le vestiaire de Chara.

« Nous traitons tout le monde également, a-t-il affirmé. Que le joueur ait 18 ou 40 ans, qu’il ait disputé 1000 matchs ou que ce soit son premier […] Je n’ai jamais aimé la séparation dans une équipe entre les vétérans et les jeunes. [D’ailleurs], je n’aime pas utiliser le mot “recrue”. »

Un discours rassembleur qui plaît aux nouveaux venus des Bruins. J’en ai discuté avec le dernier joueur arrivé dans l’équipe, Karson Kuhlman, 23 ans.

« [Zdeno] est un grand leader. Il prêche par l’exemple. Tous les jours, il arrive préparé. Il prend extrêmement bien soin de lui. On veut tous l’imiter. [Les jeunes], on est chanceux d’avoir un gars avec de l’expérience comme lui autour de nous. » — Karson Kuhlman

Les Bruins sont aussi chanceux de pouvoir compter sur un coéquipier prêt à faire ce que Sam Walker qualifie de « travail ingrat dans l’ombre ». Zdeno Chara reste parmi les meneurs des Bruins pour les minutes jouées en infériorité numérique, les mises en échec et les tirs bloqués. Et ce, même s’il a l’âge d’être le père d’une demi-douzaine de joueurs.

Quant à son acharnement sur la patinoire et à son désir de repousser les limites des règles, la preuve n’est plus à faire. Les Montréalais se souviennent de sa violente mise en échec assénée à Max Pacioretty en 2011. Un coup jugé légal par la LNH, qui n’a pas suspendu Chara. Depuis, les partisans du Canadien le détestent. Le huent chaque fois qu’il touche à la rondelle au Centre Bell.

C’est de bonne guerre. Même si je suis convaincu que ses plus grands détracteurs auraient souhaité le voir dans l’uniforme bleu-blanc-rouge.

Autant l’ont-ils détesté, autant savent-ils que les leaders de sa trempe sont rares. Et que Zdeno Chara a tout ce qu’il faut pour mener les Bruins jusqu’à la conquête de la Coupe Stanley. Encore une fois.

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITIONS

The Captain Class, Sam Walker, Éditions Random House