Il y a une innovation intéressante dans l'énoncé économique qu'a présenté la semaine dernière le ministre canadien des Finances, Bill Morneau : la création de la Banque de l'infrastructure du Canada, un mécanisme qui permettra au gouvernement fédéral d'associer du capital privé et même étranger au financement de projets d'infrastructures.

À certains égards, ce projet rappelle ce que le gouvernement du Québec a fait avec la Caisse de dépôt pour le Réseau électrique métropolitain (REM), une formule qui a d'ailleurs inspiré le ministre Morneau. Mais on la pousse beaucoup plus loin, en voulant mettre sur pied toute une banque de projets susceptibles d'intéresser des investisseurs.

Il ne s'agit pas seulement d'une structure financière novatrice. C'est en fait une autre façon de concevoir le rôle de l'État, intéressante, extrêmement prometteuse.

Mais il faut être conscients du fait que cela aura une foule de répercussions, tant politiques qu'économiques.

Le ministre Morneau a repris la recommandation d'un groupe de travail qu'il avait mis sur pied au début de l'année, le Comité consultatif en matière de croissance économique, présidé par Dominic Barton, le patron de McKinsey & Company, une grande firme de consultants internationaux, entouré de personnalités économiques, comme Michael Sabia, PDG de la Caisse de dépôt.

Le mandat du comité - la croissance économique - ne portait pas sur le ralentissement que connaît actuellement le Canada, mais sur un problème plus profond et plus durable, le manque de dynamisme persistant de l'économie canadienne. Le comité devait proposer des pistes pour assurer une croissance plus forte et une élévation du niveau de vie. Sa principale recommandation, dans son rapport de la mi-octobre dernier, c'est de miser sur les infrastructures.

S'il est bien connu que les grands projets d'infrastructures peuvent stimuler l'économie à court terme, la thèse du comité, c'est qu'ils peuvent être un outil puissant pour créer une économie plus forte, parce qu'ils peuvent mener à une hausse de la productivité. Comment ? Parce que la réduction de la congestion, la connectivité, l'amélioration du transport des marchandises et des matières premières rendent l'économie plus performante. Parce que les investissements dans la qualité de vie, comme les transports en commun, rendent les villes plus attractives et plus à même d'attirer le talent.

Il y a une logique financière derrière ce projet. Les besoins sont colossaux, surtout que le Canada connaît un déficit d'infrastructure, assez pour imposer un fardeau intenable pour les contribuables si on entreprenait tout ce qui doit être entrepris. L'idée, c'est d'utiliser les fonds publics comme levier pour aller chercher des fonds privés, en sachant qu'il y a, ici et ailleurs, une masse de capitaux à la recherche de rendements stables et prévisibles, par exemple les fonds de pension tant privés que publics, comme la Caisse.

Selon le comité, une telle banque pourrait, avec chaque dollar de fonds publics, aller chercher quatre dollars du privé.

Dans son énoncé, le ministre Morneau a annoncé qu'il injecterait 35 milliards dans cette banque - 15 milliards de ses fonds propres, 20 milliards par des outils financiers -, ce qui pourrait permettre des investissements totaux de 175 milliards sur une période de 10 ans.

Évidemment, ce ne sont pas tous les projets d'infrastructure qui se prêtent à un tel montage financier. Ça ne fonctionne que pour des projets commercialisables, avec un potentiel de rendement. Par contre, cet apport du privé pourrait permettre à l'État de disposer de davantage de fonds pour combler d'autres besoins, surtout les projets verts et les projets sociaux. Ottawa prévoit d'ailleurs, sur une période de 10 ans, investir 171 milliards selon les modes classiques.

Mais il n'en reste pas moins que cela va certainement provoquer des frictions. On a pu voir, dans le cas du REM, que l'architecture même du projet a été conçue pour assurer sa rentabilité. Un projet purement public, sans cette contrainte, n'aurait sans doute pas eu la même forme. Cela a agacé les purs et durs.

Le REM a été bien accueilli parce que le gouvernement du Québec l'a confié à la Caisse de dépôt. Même s'il s'agit d'une société d'État, cette association en a fait tiquer certains, comme le Syndicat canadien de la fonction publique, qui représente les chauffeurs, qui trouvait que ça ressemble trop à un PPP. Imaginons-nous ce qui se serait produit si le REM était construit et géré par une entreprise privée. C'est ce débat qui va se poser à travers le Canada quand le secteur privé prendra en charge des activités que l'on confie traditionnellement à l'État.

Mais dans l'ensemble, voilà un autre dossier qui nous rappelle que, quand on fait bien les choses, il peut y avoir une convergence entre la logique économique, celle de la croissance et de la productivité, et les préoccupations sociales.