En écartant Gaétan Barrette des négociations avec les fédérations médicales, le premier ministre Philippe Couillard a pris une sage décision. Je serais mal placé pour la critiquer après avoir déploré à plusieurs reprises que ce dossier soit piloté par un ministre que j'ai qualifié de « conflit d'intérêts sur deux pattes ».

Cette décision aura un double effet. Sur le plan politique, elle émousse sérieusement le pouvoir de celui qui régnait sans partage sur le monde de la santé. Sur le plan financier et administratif, le fait que le dossier soit confié au Conseil du Trésor changera la dynamique des négociations avec les médecins.

Il y avait quelque chose de malaisant à ce que celui qui a négocié le salaire des spécialistes contre le gouvernement, comme président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, change de bord pour négocier, mais cette fois-ci pour le gouvernement.

C'est plus qu'une simple apparence de conflit d'intérêts.

Il est en effet possible, sur la foi de données sérieuses, que le rattrapage salarial des médecins québécois soit allé trop loin et que ceux-ci soient maintenant mieux payés que leurs collègues ontariens.

Le ministre Barrette écarte catégoriquement cette hypothèse. Mais qui est-ce qui parle, le ministre ou l'ex-syndicaliste qui défend son oeuvre ?

« Moi, j'ai un discours totalement cohérent depuis le jour où je suis apparu sur la place publique, a-t-il déclaré mardi. J'ai eu un discours en 2006 qui était limpide, archilimpide. Plus limpide que ça, c'est impossible. Il y avait une problématique de rattrapage qui a été faite. Je change de bord et je dis, regardez, le rattrapage maintenant, non seulement il est terminé, rien n'indique qu'il va se détériorer, d'où la nécessité de renégocier ce qui est sur la table. »

Sa position est peut-être limpide, mais les faits le sont beaucoup moins. Pressé par François Legault qui lui demandait de produire des études qui démontraient ce qu'il affirme, le ministre a répondu, avec sa superbe habituelle : « ICIS, Institut canadien d'information sur la santé, banque nationale de données sur les dépenses en santé du Canada, tableaux D point 1 point 5 point 1 et point 2, D point 1 point 6 point 1 et point 2. Les études ont été faites. »

Ça a vraiment l'air impressionnant. Mais je connais bien les tableaux D.1.5.1 et les suivants. Ce ne sont pas des « études », mais de simples tableaux statistiques produits chaque année portant sur les dépenses totales en santé des provinces par affectation - hôpitaux, médicaments, médecins, etc. - exprimés en millions, en pourcentage des dépenses totales, en dépenses par habitant. Ils nous disent - et c'est là-dessus qu'insiste le ministre - que les dépenses par habitant pour les médecins s'élevaient à 874,51 $ au Québec en 2015 et à 969,81 $ en Ontario. Un écart de 10,9 %, semblable à l'écart du niveau de vie entre les deux provinces, ce qui lui permet d'affirmer qu'il y a eu rattrapage mais pas dépassement.

Ce chiffre ne permet absolument pas d'affirmer cela. Il nous dit combien coûtent globalement les médecins, mais ne nous dit rien sur combien ils gagnent. Plein de choses peuvent affecter leur rémunération, le nombre de médecins, leurs tâches, leur spécialité, leurs heures de travail, le nombre d'actes qu'ils posent.

Sortir un chiffre pareil pour répondre à la question qu'on se pose tous - y a-t-il eu, oui ou non, un dépassement  - est franchement risible.

Ça en dit long sur la méthode Barrette. Ça nous permet aussi de soupçonner que son argumentaire est vraiment fragile.

S'il y a débat, c'est que d'autres données de l'ICIS, plus précises, et plus pertinentes, ne disent pas la même chose. Elles montrent par exemple que la rémunération des spécialistes québécois, avec la méthode des équivalents temps complet, à 416 314 $ pour 2015, dépasse de beaucoup celle de leurs collègues ontariens, 339 571 $. D'autres données nous disent que si le niveau de rémunération des généralistes semble approprié, leur tâche est nettement inférieure à la moyenne canadienne.

Le ministre croit que la méthode des équivalents temps complet reflète mal la réalité. Possible. Son devoir aurait été de proposer une autre méthode, pas de sortir un chiffre qui ne veut rien dire. Cet exercice objectif, qu'il a été incapable de faire, j'ai proposé à plusieurs reprises de le confier à un comité indépendant pour que le débat repose sur des bases objectives plutôt que sur des positions de négociation. Ce sera plus facile maintenant que le Conseil du Trésor pilote le dossier.

L'Université McGill, par exemple, a annoncé une étude de faisabilité de 8 millions pour un projet de 782 millions pour donner une nouvelle vocation pour l'hôpital Royal Vic. On pourrait quand même mettre quelques sous pour avoir l'heure juste sur des dépenses de 7,2 milliards qui représentent 15,4 % des coûts de la santé. Pour savoir de quoi on parle et pour trouver une solution équitable pour tous.