Les choix du gouvernement Couillard, comme celui d'éliminer rapidement le déficit au prix de compressions qui ont parfois été pénibles, justifient certainement un débat. Est-il allé trop vite ? A-t-il fait les mauvais choix budgétaires ? A-t-il menacé la pérennité des services publics ? A-t-il nui à la croissance ? Ce sont toutes là des questions qui méritent d'être posées.

Le problème, c'est que ce débat important ne peut pas avoir lieu là où il devrait se dérouler, à l'Assemblée nationale, entre élus. Parce que la culture parlementaire qui est la nôtre est plus propice aux excès théâtraux qu'aux réflexions sérieuses.

Et aussi parce qu'aucun de nos deux grands partis de l'opposition n'articule un discours sur les finances publiques qui lui permette de contre-proposer un projet cohérent.

C'est particulièrement vrai du Parti québécois, dont le nouveau chef, Jean-François Lisée, a accueilli les révisions budgétaires du ministre Carlos Leitao avec une jolie formule, « le surplus de la honte », mais qui n'a pas, à ma connaissance, quoi que ce soit à proposer sauf l'indignation à la pièce. On ne peut pas en faire le reproche à M. Lisée, qui occupe depuis peu ses nouvelles fonctions et qui doit composer avec l'héritage de ses prédécesseurs.

Il faut quand même se rappeler que le Parti québécois a été au pouvoir il n'y a pas très longtemps, et que le gouvernement Marois est resté au pouvoir assez longtemps pour déposer deux budgets, en novembre 2012 pour 2013-2014 et en février 2014 pour 2014-2015. Et que disaient ces deux budgets ?

Le premier reprenait les cibles d'élimination du déficit établies par le gouvernement Charest, et donc le déficit zéro pour l'année même, 2012-2013. Dans son second budget, le ministre péquiste des Finances, Nicolas Marceau, annonçait qu'il avait raté sa cible de 2,5 milliards et qu'il reportait à 2015-2016 le retour à l'équilibre budgétaire. Son budget prévoyait des mesures d'austérité importantes sans en dévoiler le détail.

Ce qu'il faut dire, c'est que la cible de retour à l'équilibre du gouvernement Couillard pour 2015-2016 est donc très exactement celle que le gouvernement Marois avait fixée. Il y a donc quelque chose de parfaitement surréaliste à voir M. Marceau dénoncer une démarche qui aurait été la sienne, à moins, bien sûr, qu'il n'ait pas cru au budget qu'il avait déposé.

Le PQ n'a pas non plus annoncé formellement de virage qui remettrait en cause sa stratégie budgétaire initiale. Le successeur de Mme Marois, Pierre Karl Péladeau, a dénoncé l'austérité libérale, qu'il trouvait idéologique, tout en se disant en faveur de l'assainissement des finances publiques, sans jamais vraiment préciser ce qu'il entendait par là. Et cela a permis jusqu'ici au PQ de se cantonner dans le rôle confortable de franc-tireur qui dénonce les mesures de compressions sans avoir à dire comment il aurait assaini les finances publiques.

François Legault, chef de la CAQ, est à la fois plus précis et moins cohérent. Il était partisan de l'élimination du déficit, mais aussi de baisses d'impôts, un double engagement qui annonçait des mesures de contrôle des dépenses plus sévères que celles des libéraux, quoiqu'il comptait pouvoir y parvenir par des coupes dans les structures et le gras administratif.

Mais récemment converti aux politiques keynésiennes du FMI, M. Legault affirme maintenant que « mettre les familles au pied du mur, ce n'est pas une politique fiscale acceptable. Multiplier les compressions qui font souffrir des personnes vulnérables, ce n'est pas une politique budgétaire acceptable. Et couper les vivres à nos écoles, c'est nuire à nos jeunes ».

Mais du même souffle, la CAQ, maintenant contre les coupes, prône aussi des baisses immédiates d'impôts, 500 $ par personne, pour un coût annuel, et récurrent, de 2 ou 3 milliards par année selon la mécanique choisie.

Avec la combinaison de ces baisses d'impôts et l'abandon de compressions qu'il estime être inacceptables, la CAQ, si elle était au pouvoir, replongerait le Québec dans une spirale de déficits.

On se retrouve donc avec, d'un côté, un gouvernement clair, mais insensible, et avec deux partis de l'opposition indignés, mais confus.

On accuse maintenant le gouvernement de faire preuve d'opportunisme en modulant ses politiques d'austérité pour arriver au temps des cadeaux à la veille des élections. Mais on peut reprocher au PQ et à la CAQ une autre forme d'opportunisme : celui des larmes de crocodile, qui consiste à dénoncer une austérité qui, fondamentalement, aurait aussi été la leur s'ils avaient été au pouvoir.