La Wallonie a failli faire dérailler le traité commercial entre le Canada et l'Union européenne, le CETA. Pendant des jours et des jours, cette petite région, avec ses 3 millions d'habitants, a réussi à bloquer une entente appuyée par une zone économique et politique de 500 millions de personnes.

Cela nous a forcés à nous intéresser un peu plus à la Belgique, pour découvrir qu'on ne la connaît pas vraiment. D'où l'exercice bien sommaire que je vous propose.

En gros, on assiste à une espèce de tempête parfaite qui résulte d'abord de la rencontre de deux grands phénomènes - la crise permanente de la fédération belge et l'effondrement économique de la Wallonie -, renforcés par un troisième facteur, la présence au pouvoir dans cette région d'un vrai gouvernement socialiste.

La Belgique est marquée par la coexistence difficile de ses deux grandes communautés linguistiques, les Wallons francophones et les Flamands. Historiquement, les Wallons ont dominé le pays même s'ils étaient minoritaires. Mais le développement économique des zones flamandes et leur croissance démographique ont renversé les rapports de force et mené les Flamands à réclamer plus d'autonomie et même à vouloir quitter la Belgique.

On peut voir des similitudes avec la réalité canadienne, mais disons que, comparé à la Belgique, le Canada est un modèle d'harmonie.

J'ajouterais que s'ils parlent la même langue que les Wallons, les Québécois francophones sont bien plus proches à plusieurs égards des Flamands, une majorité longtemps dominée, dont la langue est fragile, et qui a réussi à s'affirmer.

Pour résoudre leurs problèmes, les Belges se sont tapé six réformes constitutionnelles depuis 1970 pour finalement aboutir à un modèle de fédéralisme franchement surréaliste. Ce petit pays de 11 millions d'habitants a un gouvernement fédéral, avec un Parlement et un Sénat, un gouvernement régional pour chacune des trois régions - Wallonie, Flandre, Bruxelles-Capitale -, un gouvernement pour chaque communauté linguistique - wallonne, flamande et la petite minorité allemande - dont les territoires ne sont pas les mêmes que ceux des régions. Les Flamands ayant sagement fusionné leurs deux gouvernements, la Belgique se retrouve avec sept Parlements et six gouvernements qui ont chacun des compétences exclusives. C'est ce qui a donné à la Wallonie un droit de veto sur l'adhésion au CETA.

C'est un système qui ne marche pas, d'autant plus que le gouvernement fédéral lui-même est souvent dysfonctionnel avec des clivages politiques si profonds qu'à deux reprises, la Belgique, faute d'entente entre les partis, s'est retrouvée sans gouvernement, pendant six mois en 2007 et un an et demi en 2010-2011.

Le second phénomène, c'est le déclin dramatique de la Wallonie. Cette région industrialisée très prospère s'est effondrée quand les mines de charbon, la sidérurgie et les usines se sont mises à fermer. En 1955, les Wallons avaient un niveau de vie légèrement supérieur à celui des Flamands. En 2014, ils se retrouvaient au niveau de l'Espagne pendant que les Flamands rattrapaient le Danemark. Le taux de chômage wallon était de 12 % en 2014, le flamand de 5,1 %.

C'est donc une région ébranlée économiquement, marquée aussi par le ressentiment, où l'on retrouve une classe ouvrière inquiète et malmenée, assez similaire à celle qui est séduite aux États-Unis par le populisme de droite.

En Wallonie, le véhicule de l'inquiétude et de la colère a été la gauche, avec un Parti socialiste plus pur et plus classique que ce que l'on retrouve ailleurs en Europe.

C'est d'abord cela qui explique la résistance. Les régions touchées par le chômage, en Wallonie comme aux États-Unis, ont pour réflexe de se méfier des accords commerciaux qui incarnent la menace venue d'ailleurs. Et l'opposition au libre-échange est l'un des chapitres du dogme socialiste classique. Ce qui est à l'oeuvre, c'est un mélange de dogmatisme politique et d'orgueil froissé d'une petite région.

Cela a fait du politologue Paul Magnette, le ministre-président de la Wallonie, un héros auprès des altermondialistes et des courants de gauche. Mais son discours, c'est la vieille cassette de la gauche classique que l'on connaît bien ici. Ses arguments sont les mêmes qu'on a entendus contre l'ALENA, avec leurs sombres prédictions qui ne se sont jamais matérialisées.

« Nous ne sommes pas contre un traité avec le Canada, dit-il. Mais nous ne voulons pas que ça mette en cause les mesures sociales, l'environnement, la protection des services publics, et nous ne voulons pas d'arbitrage dans lequel les multinationales pourraient attaquer les États. »

Mais la cassette a quelque chose de spécial. La « menace » qui pèse sur l'Union européenne ne provient pas des États-Unis, mais du Canada, 10 fois plus petit en termes économiques et 14 fois plus petit pour sa population. Il faut aussi se demander comment il se fait que cette petite région trouve inacceptable un mécanisme d'arbitrage avec lequel les Français, les Canadiens ou les Néerlandais sont à l'aise.

Il y a surtout beaucoup de prétention et d'arrogance dans la façon dont M. Magnette s'est érigé en défenseur des programmes sociaux, comme si la France, le Québec, l'Ontario ou le Danemark voudraient d'un traité qui menace leur environnement, leurs mesures sociales ou leurs services publics.