Il y a un point commun entre José Bové et Donald Trump. À part, bien sûr, la couleur de leurs cheveux. Et c'est leur opposition farouche aux traités de libre-échange.

La dénonciation de l'ALENA, le traité qui lie les États-Unis au Canada et au Mexique, est l'un des thèmes qui ont contribué au succès du candidat républicain. Et c'est pour dénoncer l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Europe, le CETA, que le militant altermondialiste et député européen José Bové est venu en tournée au Québec.

Les deux hommes, aussi différents soient-ils, utilisent le même argument - le premier par opportunisme politique, le second par idéalisme - voulant que le libre-échange ferait disparaître des emplois et créerait du chômage. Les deux se trompent.

C'est quand même un sujet où nous avons une certaine expérience. L'Accord de libre-échange avec les États-Unis, l'ALE, est entré en vigueur en 1988. Il a été élargi au Mexique, en 1994, avec l'ALENA. Ça fait donc presque 40 ans, assez longtemps pour faire un bilan. Au Canada, on a assisté à une explosion des échanges continentaux et à une croissance constante de l'emploi. Il est évidemment difficile de départager ce qui est dû à quoi. Mais il est très clair que le libre-échange n'a pas mené à une dislocation économique. Et si notre industrie manufacturière a été malmenée depuis un quart de siècle, c'est à cause de la montée des économies émergentes.

José Bové, grâce au temps de micro gratuit que lui ont procuré ses mésaventures douanières, a affirmé que 23 000 emplois seraient menacés au Canada à cause du CETA. C'est gentil de sa part de nous prévenir. Mais ses prédictions tombent un peu à plat, parce que nos liens plus étroits avec le géant américain n'ont pas eu cet effet. Le militant semble avoir appliqué à notre cas la grille de son pays, où la stagnation économique crée une obsession des pertes d'emplois.

On sait aussi avec certitude que les arguments massue évoqués à l'époque par les adversaires du libre-échange étaient des sornettes : la disparition des fermes n'a pas eu lieu, le Canada n'a pas été forcé d'exporter massivement son eau douce, le caractère public de son système de santé n'a pas été mis à mal par des multinationales américaines.

Il faut dire aussi que le CETA aura sur nous un impact limité, parce que l'Europe est quand même éloignée, que nos économies ne sont pas intégrées et que les volumes d'échange sont faibles. En 2015, 72,4 % des exportations internationales du Québec allaient vers les États-Unis - 59,1 milliards sur 81,6 milliards. Les expéditions vers l'Europe, à 9,8 milliards, étaient six fois moindres.

Quel serait alors l'avantage de ce traité ? Ces chiffres donnent la réponse. Le Québec et le Canada sont de petites économies ouvertes, dont le marché intérieur est restreint, qui comptent sur les exportations pour assurer leur croissance et leur niveau de vie. L'entente avec l'Europe, en éliminant les tarifs et en réduisant les barrières qui entravent le commerce, nous donnerait un plus grand accès à l'énorme marché européen et nous rendrait un peu moins dépendants du marché américain.

Il y a bien sûr un risque, parce que les Européens se disent la même chose et veulent donc exporter davantage chez nous.

Mais ce n'est pas un jeu à somme nulle où les gains de l'un sont inévitablement des pertes pour l'autre.

Un traité comme celui-là renforcera des liens entre deux zones économiques avancées. Il encouragera nos entreprises à s'ouvrir encore plus sur le monde.

Le débat public est toutefois difficile à mener, parce que les gains et les pertes ne sont pas de même nature. Les avantages sont essentiellement macroéconomiques - augmentation des exportations, croissance, diversification des marchés - et ils prendront du temps à se matérialiser. Par contre, les désavantages sont souvent concrets et immédiats.

De la même façon, la liste des secteurs pour qui le CETA pourra être une bonne chose est très longue - aéronautique, transport, matières premières, forêt, des pans entiers de l'agriculture, comme le porc. La liste de victimes possibles, elle, est très courte, comme le livre ou les fromages fins. Et pourtant, on ne parle que de cela.

L'arrivée d'une plus grande quantité de fromage européen affectera surtout les entreprises artisanales qui produisent des fromages fins. Mais toute l'attention que l'on porte à cet impact nous fait perdre le sens des proportions - il s'agit d'environ 70 entreprises, qui transforment 1 % du lait. Il ne faut pas les oublier. Il faut absolument les aider. Mais il faut regarder la forêt, plutôt que l'arbuste.

Il faut prendre un peu de recul, il faut puiser dans notre expérience, penser aussi aux secteurs qui peuvent en profiter, penser aux consommateurs qui paieront moins cher, penser aux effets stimulants que créera cette dynamique nouvelle avec l'Europe.