Le rapport annuel de la protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain, a donné des munitions à tous ceux qui se sont opposés aux compressions du gouvernement Couillard. « L'austérité a fait mal », a-t-elle déclaré.

La réaction du premier Philippe Couillard a été rapide et intempestive. « Les discours sur les personnes vulnérables, les discours sur la solidarité avec les finances publiques déséquilibrées et un endettement chronique, ce n'est que du vent. » À mon avis, cette réponse est franchement inacceptable.

Elle contribue à placer le débat là où il ne devrait pas être, simpliste, en noir et blanc. Le vrai débat ne porte pas tant sur le principe de l'austérité, si oui ou non le gouvernement avait raison de vouloir assainir les finances publiques, mais sur la façon dont il s'y est pris, en termes de rythme et de choix budgétaires.

Un débat qu'on peut avoir en gardant en mémoire un petit quelque chose. Quand on utilise le terme d'austérité dans le cas du Québec, il faut se rappeler que celle-ci n'a pas consisté à réduire les dépenses publiques, mais seulement à ralentir leur croissance, et que cette croissance n'aura été inférieure au rythme d'inflation que pour une seule année.

Il faut dire qu'à un certain niveau, on peut comprendre l'agacement du premier ministre. Il y a quelque chose de circulaire dans la démarche d'un protecteur du citoyen. Comme son mandat même consiste à défendre les citoyens dans leurs rapports avec l'État, il aura tendance à s'opposer à toute mesure qui réduit les services, tant et si bien que le seul régime politique qui trouvera grâce à ses yeux est un modèle social-démocrate pour qui la prudence budgétaire n'est pas importante.

Mais le rapport de Mme Saint-Germain, nuancé, ne tombe pas dans ce piège. « Au fil des ans, j'en suis arrivée à croire que les compressions budgétaires cumulées - dont je ne conteste pas la pertinence sur le fond, mais plutôt la sous-estimation de l'incidence réelle de certaines sur les citoyens - ont malgré tout été moins éprouvantes pour la bureaucratie que pour les personnes vulnérables. »

Le risque évident pour un gouvernement qui veut rétablir la santé des finances publiques, c'est de réduire les services et de pénaliser les gens. Le gouvernement Couillard affirmait pouvoir y arriver en évitant ces écueils. Ce que dit le rapport, c'est qu'il n'y est pas parvenu.

Le rapport dit aussi que le gouvernement n'a pas pris tous les moyens pour faire en sorte que les citoyens ne soient pas affectés. On en avait eu de nombreux signaux. La protectrice du citoyen documente encore davantage cet échec.

Par exemple, j'ai souvent dénoncé l'approche paramétrique consistant à imposer d'en haut des commandes de contrôle des dépenses qui se répercutent ensuite vers le bas dans la machine avec un effet de cascade aux impacts souvent pervers. Ce pelletage, on l'a vu à l'oeuvre en éducation, où les commissions scolaires, sans marge de manoeuvre et souvent sans talent administratif, ont répondu en coupant bêtement, souvent au détriment des clientèles les plus vulnérables.

Mme Saint-Germain met en relief d'autres mécanismes, notamment la tendance de la machine administrative à se protéger les fesses, avec pour conséquence qu'elle s'impose des compressions « moins éprouvantes pour la bureaucratie que pour les personnes vulnérables ».

Un troisième mécanisme dont parle aussi le rapport consiste à répondre aux contraintes financières non pas en trouvant des façons nouvelles de dispenser les services, mais en se rabattant sur une application plus rigide des normes bureaucratiques. « Les rapports annuels de gestion sont d'ailleurs plus éloquents quant à la conformité aux normes et aux procédures qu'éclairants sur la capacité des divers programmes et services à satisfaire les besoins des citoyens. »

La conséquence, c'est que ceux qui ont le plus de chances de souffrir des mesures de compressions, ce sont les clientèles qui ne rentrent pas dans le moule prévu par les normes, celles qui sont moins capables de se défendre, celles dont le sort risque moins de faire les manchettes : les clientèles les plus vulnérables.

Ces problèmes ont été exacerbés dans le réseau de la santé à cause d'une énorme réforme, qui accapare les gestionnaires, qui a accru la centralisation du réseau et donc réduit sa souplesse et sa capacité de s'ajuster aux besoins de sa clientèle. « En matière de soutien à domicile, à titre d'exemple, ses enquêtes (du commissaire) ont fait ressortir que lors de l'intégration des offres de services locales à l'échelle régionale, on avait eu tendance à implanter à l'ensemble du territoire la moins généreuse des offres. »

Tout ça, ce n'est pas du vent. Ce sont des problèmes réels, avec des citoyens en chair et en os. Des problèmes qui auraient pu être évités, ou à tout le moins atténués, avec plus de sensibilité, plus d'empathie, plus de capacité d'écoute.