Une idée suédoise a suscité un vif intérêt médiatique un peu partout à travers le monde : celle de réduire la journée de travail à six heures, sans baisse de salaire.

L'idée, à laquelle La Presse+ a d'ailleurs consacré un dossier lundi dernier sous la plume d'Isabelle Massé, est certainement attrayante. Dans un monde où l'on accorde plus d'importance à la conciliation travail-famille, où l'on se préoccupe de la qualité de la vie, bien des gens rêveraient d'avoir plus de temps pour leurs loisirs et pour la vie familiale. C'est vraiment un beau sujet de réflexion, idéal pour ce week-end de la fête du Travail.

Je dois dire qu'en partant, je me méfie un peu de l'engouement que suscitent les idées venues d'ailleurs.

On a tendance à embellir ce qui vient de loin, on fait du « cherry picking », du « picorage », où on ne retient des expériences d'ailleurs que ce qui nous arrange. Un peu de journée de six heures suédoise, un peu de salaire minimum californien à 15 $ l'heure, et pourquoi pas des vacances à la française ? En oubliant commodément ce qui ne fait pas notre affaire et en ne tenant pas compte du contexte.

Cette nuance étant faite, il y a certainement une logique derrière la réduction de la journée de travail à six heures. Elle repose sur l'hypothèse qu'avec une journée de travail moins longue, les travailleurs seront moins stressés, plus reposés, plus à même d'honorer leurs obligations familiales, et donc plus heureux. Cela réduirait l'absentéisme et augmenterait la productivité, tant et si bien qu'en fin de compte, on réussirait à faire en six heures, sans coûts additionnels, ce que qui prend actuellement huit heures. Bref, une solution où tout le monde serait gagnant.

Est-ce que ça tient debout ? En théorie, oui. En pratique, on n'en a pas la moindre idée.

Précisons que la réduction de la semaine de travail ne constitue pas une nouvelle politique suédoise. C'est plutôt une idée que l'on teste dans des projets-pilotes, justement pour en savoir plus, dans quelques entreprises et dans certains services municipaux de la ville de Göteborg, où le projet porté par un parti de gauche ne fait d'ailleurs pas l'unanimité.

Il y a quand même beaucoup d'obstacles pour passer du rêve à la réalité. D'abord, d'ordre organisationnel. Le succès ne peut pas seulement reposer sur l'enthousiasme de travailleurs plus reposés. Il faut repenser l'organisation du travail, remanier les horaires, changer les façons de faire pour éliminer les pertes de temps - par exemple réduire les temps de réunion, interdire l'utilisation de l'internet, raccourcir les heures de lunch. Tout cela est possible dans bien des cas, parce que, pour de très nombreux emplois, il y a du temps perdu et des périodes creuses. Mais ce sont des transformations plus faciles à réaliser dans des organisations souples, comme des entreprises en démarrage (start-up) qui fonctionnent avec une main-d'oeuvre jeune.

Ensuite, il a des inconnues de nature psychologique. Est-ce que le regain d'énergie obtenu grâce à l'enthousiasme initial sera durable, ou si, après une période initiale d'euphorie, on assistera à un retour aux vieilles habitudes ? On peut se demander aussi si une réduction notable des horaires, en réduisant la place du travail dans la vie, fera en sorte que le travail deviendra une parenthèse et que les gens auront moins le coeur à l'ouvrage.

Mais le principal problème est que ce modèle ne peut pas s'appliquer partout. Il fonctionnera mieux là où le travail consiste à effectuer un nombre mesurable de tâches que l'on peut faire plus ou moins rapidement. Ça ne marche pas pour les métiers physiquement épuisants, qui exigent des périodes de pause, pour les métiers intellectuels et pour les professionnels, qui ne peuvent pas être contraints à des cases horaires, et surtout, pour tous les emplois qui exigent une présence physique. Ils sont extrêmement nombreux - les services, le commerce, la santé, l'enseignement. On ne peut pas demander de faire en six heures une tâche de huit heures à une réceptionniste, un chauffeur d'autobus, un caissier, une vendeuse, un enseignant.

Une des expériences suédoises porte par exemple sur le service d'orthopédie d'un hôpital. En passant à un horaire quotidien de six heures, on a réduit l'absentéisme et amélioré la performance. Mais il a fallu engager du personnel additionnel, remplacer ceux et celles qui ne sont plus au travail au bout de six heures. L'opération semble être un succès, mais ça coûte vraiment plus cher.

Il faut faire attention avant de dire que ce n'est pas possible. On a dit la même chose pour chaque mesure de progrès social.

La réduction du temps de travail constitue une tendance lourde. La pression vient des exigences de la conciliation travail-famille qui se posent depuis l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail, par l'attrait croissant du loisir pour les baby-boomers, par l'arrivée de nouvelles générations qui ne veulent pas travailler autant que leurs aînés. Les nouvelles technologies facilitent le processus.

Déjà, même si la semaine de travail de 40 h est encore prévalente pour les emplois à temps plein - 39 h au Québec et au Danemark, 40,3 au Canada, 40,7 en Suède -, bien des gens travaillent moins longtemps, par exemple 35 h dans la fonction publique. Il y a de plus en plus de cas de semaines de 32 h On est donc de moins en moins éloignés de la journée de six heures.