On a beaucoup parlé de la méthode Barrette. Mais il y a quelque chose de plus préoccupant que la propension du ministre de la Santé et des Services sociaux à l'affrontement et l'intimidation: la philosophie qu'il y a derrière.

VISION TRADITIONALISTE

À travers ses interventions publiques comme leader syndical, d'abord, et ses décisions comme ministre, Gaétan Barrette exprime une vision traditionaliste du système de santé et plusieurs de ses initiatives vont à contre-courant des grandes tendances de réformes de la santé dans des sociétés avancées qui, incidemment, font mieux que le Québec à plusieurs égards. Son style de gestion et sa conception de la santé sont en quelque sorte ceux d'un mononcle.

M. Barrette a joué un rôle très utile en brassant la cage, en s'attaquant au problème de la prise en charge des patients par les généralistes, en amorçant un changement dans le financement des établissements, et en voulant casser les réflexes corporatistes. Cependant, le climat de crise qu'il entretient risque fort de mener tout droit à l'échec de ses réformes. Et surtout, il est en train d'apporter au système de santé des changements que l'on risque de regretter.

LES LIMITES DE LA MÉTHODE FORTE

Derrière le style du Dr Barrette, il y a une conception de la gestion. La méthode forte a ses limites et relève d'une forme complètement dépassée de leadership. Au XXIe siècle, il est impossible de mener à bien des réformes dans une organisation complexe sans la participation et l'adhésion de ses artisans. La gestion moderne ne peut pas seulement reposer sur l'autorité. Même un général ne pourra pas mener ses troupes au combat s'il ne réussit pas à les motiver et à les mobiliser.

CENTRALISATION ABUSIVE

Le ministre a imposé au réseau une très forte centralisation qui va dans le sens contraire de ce qu'on observe dans les pays qui pourraient être nos modèles, notamment le Royaume-Uni et les pays d'Europe du Nord. Le fait que tout soit décidé à Québec, souvent par le ministre, peut permettre de lutter contre l'inertie de la machine et la logique des silos. Mais cela a aussi d'énormes inconvénients, comme les goulots d'étranglement et la paralysie, parce que le Ministère ne peut pas tout faire. Ou encore la dictature des normes, illustrée par l'histoire désolante de François Marcotte, forcé de solliciter la générosité du public pour avoir droit à des douches dans un CHSLD. Ce genre de modèle, avec ses normes et ses menaces, entretient un climat de peur qui étouffe l'innovation et limite la capacité de bien s'adapter aux besoins des gens.

PATIENTS MIS DE CÔTÉ

Ces réformes dictées d'en haut, avec une approche « top-down », excluent ceux qui devraient être au centre de toute réforme : les patients. M. Barrette affirme qu'il agit dans l'intérêt des patients, mais il le fait comme un docteur d'antan, en définissant à leur place ce que sont leurs besoins. Agir pour le patient, ce n'est pas du tout la même chose qu'agir avec eux. Dans les pays modernes et performants, les réformes partent des patients. On les consulte, on les associe au processus, on en fait des partenaires. Au Québec, ils sont absents.

QUANTITÉ PLUTÔT QUE QUALITÉ

L'approche qui se dégage des multiples initiatives du ministre, que ce soit dans la façon dont il veut augmenter la productivité des médecins ou encore dans son projet de supercliniques, est quantitative - le volume, le nombre d'actes - ; les critères de qualité et de suivi sont moins présents. Cela reflète une conception de la santé qui est celle d'un docteur de la vieille école, qui repose aussi sur les activités curatives, qui renforce la rémunération à l'acte, et dans laquelle la prévention, la promotion et les préoccupations populationnelles font figure de parents pauvres. C'est peut-être ce qui explique la difficulté à bien s'occuper des problèmes des patients liés à la qualité de vie plutôt que la santé dans son sens étroit, comme le droit à des douches.

NAVIGATION SANS BOUSSOLE

Dans plusieurs dossiers, on a pu voir que le ministre a lancé ses initiatives sans s'appuyer sur des données ou des études. Il dirige un ministère où on ne sait rien, ni sur la rémunération des médecins, ni sur les frais accessoires, ni sur le coût des actes dans les hôpitaux. Et jusqu'ici, ses réformes ne semblent pas s'accompagner de la mise en place des outils qui permettraient de les évaluer et de mesurer leur succès. On recule même à ce chapitre, comme on l'a vu avec l'abolition du poste de Commissaire à la santé et au bien-être. S'il y a une tendance lourde dans les systèmes de santé des pays avancés, c'est l'importance que l'on apporte à la mesure des performances, pour savoir si on fait des progrès, si on va dans la bonne direction. Ce qu'on appelle des politiques basées sur des faits probants. Et non pas sur la navigation à vue.

QU'EN PENSE M. COUILLARD ?

Le premier ministre ne peut pas ne pas voir que le populisme agressif du Dr Barrette ne correspond pas aux traditions de sa formation politique et que l'image de son gouvernement en souffrira. Et comme ancien ministre de la Santé, il doit bien voir les risques énormes que la démarche de son ministre fait courir au réseau. Et que si M. Barrette a apporté un électrochoc salutaire en arrivant à la Santé, sa présence à ce poste est maintenant plus nuisible qu'utile.