Depuis des mois déjà, le discours officiel du gouvernement Couillard était que le Québec entrerait dans une nouvelle phase où nous pourrions commencer à respirer un peu et mettre dernière nous les sacrifices de la rigueur budgétaire.

Mais les données dévoilées dans le troisième budget du ministre Carlos Leitao nous racontent une tout autre histoire. Nous sommes loin des vallées verdoyantes de l'abondance, pour reprendre l'expression de Bernard Landry. Ce budget ne peut même pas être décrit comme un budget de transition avant une période de vaches grasses. Les projections financières nous disent plutôt que le Québec a devant lui des années et des années de vaches maigres où le gouvernement devra continuer à couper, à faire des choix, à dire non.

Le gouvernement Couillard a fait preuve de détermination et de constance dans ses efforts pour éliminer le déficit et afficher deux surplus de suite. Il lui en faudra encore pour garder le cap.

Disons donc qu'après deux années d'austérité rigoureuse, on entre dans la période de la rigueur austère.

Cinq éléments, selon ma lecture des données budgétaires, permettent de dire que l'abondance n'est pas pour demain. Le premier, c'est l'absence de marge de manoeuvre. On le voit au caractère très modeste des initiatives nouvelles annoncées dans ce budget, comme le devancement de l'élimination graduelle de la taxe santé et les mesures de relance économique. À peine un demi-milliard sur un budget qui, pour la première fois, dépasse le cap des 100 milliards. Bref, le gouvernement n'a pas d'argent.

Le deuxième facteur qui nous dit que la rigueur restera au rendez-vous, c'est le fait que la croissance prévue des dépenses restera modeste, plus basse que le rythme naturel d'augmentation des dépenses publiques. Pour l'année qui se termine dans quelques jours, 2015-2016, la croissance des dépenses consolidées sans le service de la dette était de 2,5 %. Pour 2016-2017 et 2017-2018, on prévoit une croissance plus basse, 2,4 %.

Quand on a vu comment il a été difficile de respecter les cibles cette année, et quel prix il a fallu payer, on peut s'attendre à ce que la tâche reste exigeante l'an prochain. C'est vrai en santé, où la cible de croissance de 2,4 % est inférieure aux coûts de système, et c'est vrai pour tous les autres portefeuilles à l'exclusion de la santé et de l'éducation, où la croissance prévue de 1,2 % est inférieure à l'inflation. Le gouvernement devra donc se battre, peut-être affecter les services, et certainement déplaire, pour maintenir le cap.

Le troisième élément tient au fait que le gouvernement Couillard ne s'est pas lancé autant qu'il l'avait annoncé dans des réformes en profondeur de l'activité gouvernementale. Il a tabletté les deux rapports qu'il avait commandés, celui de la commission Robillard sur l'examen des programmes et celui de la commission Godbout sur la fiscalité. Au lieu de repenser le rôle de l'État et ses façons de faire, on a davantage recouru aux compressions classiques, aux commandes venues d'en haut.

Dans bien des cas, on l'a vu dans le passé, ce genre d'économies n'est pas durable et les dépenses ont tendance à exploser à nouveau. On en a un exemple avec les coupes brutales en éducation qui ont forcé le gouvernement a annoncer un réinvestissement, sous la forme d'une croissance annuelle de 3 % pour les trois prochaines années. Le système d'éducation n'est pas comme une bleuetière où ça pousse mieux après avoir passé au feu. De façon générale, le risque que certaines compressions ne soient pas durables imposera des efforts constants de contrôle.

Le ministre Leitao ne peut pas non plus compter sur une croissance de ses revenus qui lui donnerait une marge de manoeuvre confortable. C'est le quatrième facteur. Les revenus autonomes augmenteront de 3,2 % en 2016, de 3,5 % en 2017, et d'un peu moins par la suite. Ce n'est pas beaucoup pour garnir les coffres de l'État.

Et comment un gouvernement peut-il augmenter ses revenus sans faire grimper les impôts ? Avec la croissance économique.

C'est le cinquième élément. Or, la croissance sera faible, même si le ministre Leitao décrit comme une accélération le fait que la croissance du PIB passera de 1,1 % en 2015 à 1,5 % en 2016. Ça ne sera guère mieux en 2017, où la croissance, à 1,6 %, sera inférieure à celle de l'Ontario, 2,4 %, du Canada, 2,1 %, et des États-Unis, 2,3 %.

Si la croissance économique ne retrouve pas de vigueur, jamais le Québec ne pourra espérer connaître, dans les années qui viennent, des budgets de prospérité. Le défi du gouvernement Couillard est là.