Le 7 mars, la veille de la Journée internationale de la femme, le Collectif 8 mars rencontrait la ministre responsable de la Condition féminine, Lise Thériault. Jusque-là, rien de plus normal.

Mais j'ai été un peu étonné d'entendre la porte-parole du Collectif, qui dit représenter 700 000 femmes, exprimer sa déception sur un élément des discussions : ce qu'elle percevait comme le préjugé favorable du gouvernement pour le développement des garderies commerciales. Tiens, tiens, est-ce que les femmes sont contre les garderies commerciales ?

La réponse est non. Disons plutôt que les femmes qui dirigent ce collectif sont contre. On peut comprendre pourquoi. C'est une « organisation parapluie » syndicale qui regroupe les grandes centrales, la FTQ et la CSN, d'autres syndicats du secteur public et la Fédération des femmes du Québec, la FFQ.

En soi, il est parfaitement normal que le mouvement syndical soit très impliqué dans les manifestations du 8 mars. Le féminisme est pluriel, il s'incarne de diverses façons. Et le mouvement syndical a toujours joué un rôle très important dans le combat des femmes pour l'égalité, qu'on pense à la bataille pour l'équité salariale ou aux combats pour les travailleuses au bas de l'échelle.

Mais il est quand même étonnant que ce qui était en quelque sorte la rencontre officielle entre le gouvernement et le mouvement féministe se soit fait seulement avec ce féminisme syndical. Ce n'est pas très pluriel.

D'autant plus que la FFQ, l'organisme qui chapeaute les activités du 8 mars, expliquait ainsi, avec l'aval de la FTQ, l'enjeu de cette journée : « Le thème de cette année évoque les récentes mobilisations. Pensons aux actions et manifestations populaires, communautaires et syndicales contre les mesures d'austérité. » Bref, le 8 mars, cette année, c'est la journée où l'on dénonce l'austérité du gouvernement Couillard.

Il y a toutes sortes de bonnes raisons de dénoncer le principe même de l'austérité ou les façons dont elle est appliquée. Mais est-ce l'enjeu auquel se rallie l'ensemble des femmes qui veulent progresser sur le chemin de l'égalité ? Y a-t-il une place, dans ce féminisme officiel, pour les autres féministes, entre autres toutes celles qui, quand elles ont voté pour le PLQ, pour la CAQ ou pour le PQ, étaient d'accord avec leur engagement d'un retour rapide à l'équilibre budgétaire ?

Ce à quoi on assiste, c'est un processus de détournement de cause, un phénomène d'appropriation politique où la question des femmes sert de levier pour la promotion d'autres causes, comme le militantisme de gauche anticapitaliste pour la FFQ, qui lutte contre « le colonialisme, le racisme, l'islamophobie, le capitalisme, l'impérialisme et leurs conséquences (violence, la guerre, l'austérité) », ou surtout le combat des syndicats contre l'austérité.

Il y a, effectivement, des politiques du gouvernement Couillard qui pénalisent davantage les femmes et qui trahissent son manque de sensibilité à cet enjeu, comme les récentes coupes dans les garderies. Le combat syndical est toutefois plus global. Il repose sur un argumentaire développé il y a un an par l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques, un organisme de recherche de gauche selon qui les politiques de relance des gouvernements favorisent les hommes et les politiques d'austérité pénalisent davantage les femmes.

La démarche repose sur une analyse de la répartition des emplois entre hommes et femmes pour chaque secteur touché par des mesures d'aide ou de compressions. Il y a plus d'emplois masculins dans le secteur de la production de biens (construction, industrie manufacturière, ressources naturelles) où se concentrent les mesures de relance, et plus d'emplois féminins dans le secteur public où se font les compressions.

D'où la conclusion prévisible de cette approche mécanique qui ne tient compte ni des retombées des politiques de relance, ni de la nature des compressions, ni des destinataires de services, ni de la nature. C'est un peu comme si on avait appliqué des théories psycho-pop, style Les hommes viennent de mars, les femmes viennent de Vénus, à une grille d'analyse de gauche.

Si on pousse la logique jusqu'au bout, on en arrive, dans une optique d'égalité hommes-femmes, à s'opposer au développement et à se méfier de la rigueur budgétaire. Comme si le déficit vient de Vénus et le surplus de Mars...

On peut donc comprendre que des femmes ne se reconnaissent pas dans cette forme de féministe institutionnel. Ce n'est toutefois pas une raison pour refuser de se décrire comme féministe, ainsi que l'a fait la ministre Lise Thériault avec un regrettable manque de finesse et d'intelligence politique.