D'habitude, je n'ai pas tendance à m'inquiéter des soubresauts des marchés ou des fluctuations des indices économiques, même quand elles sont spectaculaires, comme le dollar canadien qui passe sous le seuil des 70 cents ou le pétrole dont le prix caracole aux alentours de 30 $US. Les cycles, avec leurs hauts et leurs bas, mieux vaut les observer avec un certain recul et une certaine sérénité.

Mais cette fois-ci, je suis inquiet. Pas tant pour l'économie canadienne, même si elle est malmenée par la chute des prix du pétrole. Notre économie tient quand même le coup et elle appendra sans doute à vivre sans sa béquille pétrolière et à profiter d'un dollar plus faible. C'est ce que croit d'ailleurs le gouverneur de la Banque de Canada, Stephen Poloz, qui déposait mercredi son Rapport sur la politique monétaire.

Ce qui m'inquiète, c'est plutôt l'instabilité, la volatilité actuelle, l'apparition de signaux qui, à certains égards, ressemblent à ceux qu'on a refusé de voir en 2007 et en 2008 avant la crise financière.

Je ne suis pas en train de dire qu'on est au bord d'une nouvelle crise, mais qu'il se passe quelque chose de malsain, qu'on a encore l'impression que l'économie mondiale est soumise à la logique de la spéculation et que la croissance repose sur des bases artificielles.

Cette inquiétude, on la sent, à mots couverts dans la mise à jour des Perspectives de l'économie mondiale que le Fonds monétaire international (FMI) rendait publique à la veille de l'ouverture du sommet de Davos. Selon le FMI, l'économie mondiale est soumise à des risques réels et « la croissance mondiale pourrait dérailler si ces écueils importants ne sont pas bien gérés. » L'organisme évoque l'affaissement des prix des produits de base, le ralentissement de la croissance des pays émergents, le resserrement des conditions de crédit.

Les deux facteurs de risque qui, à mon avis, comportent le plus d'éléments communs avec le contexte volatil des années 2008-2009, ce sont l'effondrement des prix du pétrole et le rôle de la Chine dans la croissance mondiale.

D'abord, le pétrole. Il faut dire que c'est une industrie tout à fait unique. Ce n'est pas un vrai marché, parce qu'il est dominé par un cartel, l'OPEP. Le prix du brut est artificiel, ne reflétant ni la valeur intrinsèque du produit ni son coût de production, puisqu'il ne coûte presque rien à extraire, autour de 10 $ le baril, dans d'importants pays producteurs comme l'Arabie saoudite ou le Koweït. La production peut enfin être modulée à volonté par les gros producteurs en ouvrant ou en fermant le robinet. C'est ce qu'on voit actuellement avec la stratégie de ces producteurs traditionnels qui inondent le marché pour casser les prix afin de réduire la concurrence des pays producteurs de pétrole coûteux, comme le Canada.

Cela crée une situation explosive, comme le produit lui-même. Les mouvements de prix encouragent des mouvements spéculatifs qui vont encore amplifier les déséquilibres. Ils ont en outre des effets de débordement sur l'économie réelle, par exemple au Canada. Et nous sommes impuissants, car c'est une source d'instabilité contre laquelle il n'existe aucun outil régulateur ni aucun mécanisme de contrôle.

L'autre grande source de déséquilibre provient de la Chine. Depuis des années, le rythme de croissance de l'économie mondiale est fortement tributaire de la performance de l'économie chinoise et souffre maintenant de ce qu'on décrit comme son ralentissement. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un ralentissement, mais plutôt d'une croissance plus faible : de 7,3 % qu'elle était en 2014, la croissance est passée à 6,8 %, en 2015. Elle baissera à 6,3 %, en 2016, et peut-être à 6,0 %, en 2017.

Ce ralentissement, somme toute très modeste, s'explique par un rééquilibrage de l'économie chinoise, qui sort progressivement de sa période d'expansion effrénée pour se normaliser et reposer davantage sur la demande intérieure. Ce processus assez sain a néanmoins des effets importants sur l'économie mondiale parce qu'il réduit la demande chinoise pour les produits de base et réduit le niveau mondial des échanges.

Mais on peut décrire les choses d'une tout autre façon. Cela signifie que la santé et le dynamisme de l'économie mondiale dépendaient en partie de la surchauffe de la Chine et donc que notre sort reposait sur le succès d'une économie émergente qui n'a pas atteint le stade de la maturité et qui, à plusieurs égards, échappe à tout contrôle. Bref, une économie mondiale aux pieds d'argile.