S'il y a quelque chose qui caractérise le premier ministre Philippe Couillard, c'est le fait que cet homme cérébral et intelligent est éminemment rationnel dans ses raisonnements, ses choix et ses décisions.

D'où mon étonnement devant ses prises de position dans le dossier des hydrocarbures de l'île d'Anticosti, où l'émotion semble avoir pris le pas sur la raison. Je ne veux pas dire qu'il est, en soi, irrationnel de s'opposer à l'éventuelle production de pétrole sur cette île du golfe du Saint-Laurent. Mais la façon dont M. Couillard l'a fait échappe aux règles de la logique auxquelles il nous a habitués.

L'émotion, on l'a d'abord perçue quand le premier ministre a pris tout le monde par surprise lors de la Conférence de Paris, en se lançant dans une charge assez agressive. « Anticosti, moi j'ai rien à voir avec ça. » Il est vrai que M. Couillard, alors en campagne pour la direction de son parti, s'était opposé à la façon dont le gouvernement de Pauline Marois avait accepté de financer l'exploration du potentiel pétrolier de cette île. Pas parce qu'il était contre l'exploitation du pétrole en soi - il était d'accord à l'époque -, mais parce qu'il s'opposait à une participation financière élevée de l'État dans une activité spéculative à haut risque.

Mais maintenant que l'entente a été signée, que les travaux ont commencé, il est difficile pour un gouvernement de revenir sur un contrat du gouvernement précédent. On s'attend à ce que l'État respecte ses engagements et que ses partenaires ne soient pas soumis à un arbitraire partisan.

Dans ses entrevues de fin d'année, M. Couillard a laissé entendre que Québec refuserait peut-être de participer à la deuxième phase des travaux d'exploration sur l'île. La phase 1 reposait sur des forages conventionnels avec carottes. La phase 2, prévue pour l'été prochain, se ferait avec la fracturation hydraulique. « Mais la deuxième phase qui est la fracturation hydraulique, un instant, a lancé M. Couillard. Qui a déjà fait... est-ce que vous connaissez un exemple dans le monde de fracturation hydraulique sur une île, dans un golfe comme le golfe du Saint-Laurent ? Moi, j'en connais pas. »

La fracturation hydraulique n'est pas une incarnation du mal qu'il faut vilipender de façon mécanique.

C'est un procédé qui peut comporter des risques, notamment pour la contamination de l'eau potable, comme vient de le rappeler un panel scientifique de l'Environmental Protection Agency américaine. Mais il ne faut pas plaquer les risques associés à la production, impliquant des milliers de puits, quand elle se fait en milieu habité, à trois forages d'exploration dans un lieu très isolé.

La logique voudrait que l'on poursuive ce processus d'exploration pour savoir si Anticosti recèle des ressources d'hydrocarbures économiquement exploitables. Depuis des années, on discute à vide - pour ou contre le pétrole - sans même savoir s'il y en a. Et si le potentiel est là, il faut ensuite savoir ce que cela implique. C'est ce dans quoi le Québec s'est engagé en lançant une évaluation environnementale stratégique (EES). Il serait sage d'attendre les résultats de ces deux exercices. Il est hautement probable que le Québec abandonnera le projet, soit parce que les réserves sont insuffisantes, soit parce que les coûts seraient prohibitifs, soit parce que les conséquences environnementales seraient disproportionnées. Mais on fera nos choix en toute connaissance de cause.

En toile de fond, on décèle chez M. Couillard une hostilité à l'égard de l'idée même de l'exploitation des hydrocarbures. « Je n'ai pas d'enthousiasme pour développer les hydrocarbures au Québec. »

Mais pourquoi ? Espérons que ce n'est pas parce qu'il a du mal à concilier la production de pétrole québécois avec la décarbonisation dans laquelle le Québec doit s'engager. C'est la thèse des groupes environnementaux, dont le combat repose aussi sur des symboles. Mais sur le plan rationnel, les deux processus sont compatibles : on peut à la fois réduire notre dépendance aux hydrocarbures tout en étant producteurs plutôt qu'importateurs.

Son opposition semble toutefois tenir à sa vision du développement économique. « Mais ne nous méprenons pas, l'avenir du Québec ne passe pas par les hydrocarbures... L'avenir, pour nous, il est dans la haute technologie, il est dans l'électricité, il est dans l'eau, c'est ce que la nature nous a donné en héritage et c'est ce qu'on doit faire fructifier. »

Faut-il rappeler que le pétrole, quand il y en a, représente un levier économique majeur, qu'une réserve d'hydrocarbures constitue tout autant un héritage de la nature que le débit d'une rivière, ou encore que le gouvernement Couillard n'a pas hésité à miser sur des filières qui n'ont rien à voir avec l'eau et la haute technologie, que ce soit les mines du Plan Nord ou la cimenterie de Port-Daniel.