Il y a plusieurs années, quand je suis devenu président et éditeur du Soleil, à Québec, l'une des toutes premières personnes que j'ai rencontrées dans le cadre de mes nouvelles fonctions fut le maire de la ville, Jean-Paul L'Allier.

Le matin du rendez-vous, son bureau m'a contacté pour me demander si, au lieu d'une rencontre formelle à l'hôtel de ville, je ne préférerais pas faire avec le maire une marche dans la ville. Et c'est ainsi que, pendant plusieurs heures, nous avons déambulé dans les quartiers centraux de la capitale, où il me montrait et m'expliquait ce qui avait été fait et ce qui restait à faire.

Si je rappelle cette anecdote, c'est pour souligner que Jean-Paul L'Allier, qui nous a quittés trop rapidement au début de cette semaine, souvent décrit comme un maire intellectuel, était aussi un homme de terrain, capable de concilier les stratégies et les projets aux obligations terre-à-terre qui sont au coeur de la vie municipale.

Ce n'est pas seulement la capitale qui perd un grand maire, parce que l'influence de cet homme public a dépassé les frontières de sa ville, celles du Québec et celles du Canada. C'est, par exemple, cet ancien ministre libéral qui a inspiré le projet des fusions municipales.

Mais surtout, il a réinventé la fonction même de maire pour qu'elle corresponde aux défis, aux problèmes et aux responsabilités d'une ville moderne.

Montréal a eu il y a longtemps un maire fort, Jean Drapeau, dont la vision reposait sur de grands projets, l'Expo 67 et les Jeux olympiques, dans une logique de grandeur qui l'a amené à négliger des pans entiers des responsabilités urbaines, du patrimoine aux infrastructures en passant par l'économie.

Jean-Paul L'Allier, heureusement moins flamboyant, a été capable d'intégrer dans sa démarche l'ensemble des facettes de la vie urbaine, la culture, l'aménagement, l'économie, la qualité de vie, cet élément insaisissable qui fait souvent la différence entre le succès ou l'échec d'une ville.

Québec, lorsqu'il en a pris les commandes en 1976, disposait d'atouts indéniables : son passé, sa beauté, son patrimoine, et l'avantage que lui procurait son statut de capitale. Mais c'est sous l'administration de Jean-Paul L'Allier que Québec a cessé d'être une ville-musée de province pour devenir une ville moderne et dynamique, dont le rayonnement dans le monde était bien supérieur à son poids démographique et économique.

Un des facteurs qui a contribué à cette mutation, c'est l'importance qu'il a accordée à la culture dans le développement et le succès d'une ville, un ingrédient maintenant intégré à la pensée municipale. Mais on connaît moins sa contribution économique, l'exercice qui a permis aux différents acteurs de la ville de développer une action commune en misant sur leurs avantages, le patrimoine et le tourisme, la fonction gouvernementale, le savoir sous toutes ses formes et la nouvelle économique, une stratégie qui porte ses fruits encore aujourd'hui.

C'est aussi sous sa gouverne que Québec s'est réinventé, avec la renaissance de son ancien centre-ville, le quartier Saint-Roch, à l'abandon depuis des décennies. Un renouveau dont le déclencheur reposait sur un pari : les effets d'entraînement de la construction d'un parc urbain par l'administration L'Allier. Le résultat, ce n'est pas seulement le développement d'un quartier urbain, mais aussi la reconfiguration complète de tout un pan oublié de la capitale, au pied du cap, maintenant au coeur de la vie commerciale et touristique.

Incidemment, au plan politique, la carrière de Jean-Paul L'Allier nous rappelle aussi qu'il est possible de bien diriger une ville, d'être élu et réélu pendant 16 ans, sans nécessairement être un politicien populiste.

Cela étant dit, il faut noter que son successeur, Régis Labeaume, malgré d'évidentes différences de style et de ton, est à bien des égards un héritier de Jean-Paul L'Allier. Même s'il a ses dossiers bien à lui, comme la construction d'un nouveau stade, dans le cadre général de son action, dans ses efforts pour faire de Québec une ville moderne, dans son insistance sur la culture, l'aménagement et la qualité de vie, il prolonge la vision de son prédécesseur.

Je voudrais terminer sur une note plus personnelle. Ce que j'ai écrit dans les paragraphes qui précèdent reflète ce que j'ai lu et entendu dans les nombreux témoignages suscités par la mort de Jean-Paul L'Allier. Je ne crois donc pas, dans l'hommage que je lui rends, manquer d'objectivité, même si ce texte est coloré par l'émotion. Parce que si Jean-Paul L'Allier m'a impressionné, s'il m'a inspiré, il est aussi devenu un ami, que je vais regretter.