Il ne faut pas être un grand devin pour prévoir que le gouvernement Couillard entrera dans la deuxième phase de son mandat à partir de 2016, maintenant qu'il peut mettre derrière lui la période assez pénible où le gros de ses efforts a été consacré au retour à l'équilibre budgétaire.

Il ne faut pas être un grand devin non plus pour s'attendre à ce que l'une de ses grandes priorités soit l'économie, parce que la croissance est en dessous de ce à quoi on s'attendait, que la création d'emplois est loin de ce que l'on souhaitait et que la reprise américaine et la chute du dollar canadien ne donnent pas les résultats escomptés.

Mais il manque quelque chose au gouvernement libéral pour qu'il puisse atteindre ses objectifs, et c'est une structure de gouvernance qui lui permette d'aller chercher tout le potentiel de l'économie québécoise. Le gouvernement Couillard n'y parviendra pas s'il ne se dote pas d'un véritable chef d'orchestre économique.

Il y a, tant au fédéral qu'au provincial, une tradition qui a fait ses preuves au fil des décennies : c'est un modèle où le gouvernement est en fait dirigé par un tandem, où le premier ministre est épaulé par un ministre économique puissant qui peut compter sur l'appui indéfectible de son chef et qui dispose d'une grande latitude d'action.

La logique de cette formule repose sur plusieurs éléments : d'une part, un premier ministre ne peut pas tout faire, il doit consacrer ses énergies à d'autres priorités et, en général, il ne dispose pas des compétences économiques nécessaires. D'autre part, un gouvernement doit proposer une direction économique claire, faire preuve de cohérence dans l'action et compter sur une voix forte capable de livrer son message.

Ce tandem, on l'a vu à l'oeuvre à Ottawa avec le gouvernement conservateur de Brian Mulroney, qui pouvait s'appuyer sur Michael Wilson, lors des années où Paul Martin était le ministre des Finances de Jean Chrétien et, d'une façon un peu moins fructueuse, avec le tandem Jim Flaherty-Stephen Harper.

Au Québec, on a retrouvé le même modèle avec Jacques Parizeau, qui était le penseur économique du gouvernement de René Lévesque, ou encore, lors des règnes péquistes, quand Bernard Landry présidait aux destinées économiques pour le gouvernement de Lucien Bouchard. Le gouvernement Marois a toutefois fait exception avec un ministre des Finances, Nicolas Marceau, qui ne s'est pas imposé. Chez les libéraux, on n'a pas retrouvé ce modèle dans les gouvernements de Robert Bourassa parce que le premier ministre jouait le rôle de chef d'orchestre économique, mais Jean Charest, après des expériences moins concluantes, s'est appuyé sur Monique Jérôme-Forget au moment de la crise et, ensuite, sur Raymond Bachand.

À l'heure actuelle, cette voix économique forte n'existe pas au sein du gouvernement Couillard. Les libéraux peuvent pourtant compter sur trois ministres qui ont une solide feuille de route économique, ce qui est beaucoup, mais aucun d'entre eux n'émerge comme un véritable leader économique.

Carlos Leitao, un économiste respecté, est devenu un ministre des Finances respecté, peu partisan, très compétent, mais qui occupe au sein du gouvernement une fonction plus technique, cantonné aux analyses économiques et au domaine budgétaire.

On ne peut pas définir Carlos Leitao, sur le plan politique, comme un poids lourd du gouvernement, comme l'ont été la plupart de ses prédécesseurs.

Jacques Daoust, ministre de l'Économie, de l'Innovation et des Exportations, a une longue expérience « terrain » du développement économique, mais une grande partie de son action, centrée sur la recherche d'investissements, se fait loin des projecteurs.

Marc Coiteux, un autre économiste, joue un rôle majeur au sein du gouvernement Couillard comme président du Conseil du trésor, mais dans une fonction qui n'est pas directement liée au développement économique.

Pour qu'un chef d'orchestre économique émerge, il faut revoir les structures de gouvernance pour éviter l'éparpillement de l'action. Il faut aussi un ministre qui dispose d'un poids politique au sein du gouvernement et de la capacité d'être la voix économique du gouvernement et d'exercer un leadership dans le domaine auprès des acteurs économiques et de la population dans son ensemble.

Philippe Couillard, dans l'entrevue de fin d'année qu'il accordait à mon collègue Denis Lessard, disait : « On contrôle trois choses : la taxation, les infrastructures et les politiques d'accueil pour les investissements. » Il y en a une quatrième, à mon humble avis, et c'est la vision et le cadre stratégique d'un gouvernement. Et ça prend quelqu'un pour élaborer cette vision, l'imposer à l'appareil gouvernemental et la faire partager.