Jeudi matin, en lisant La Presse+, j'ai eu la très étrange impression que je n'étais pas à Montréal, mais plutôt à Sofia, en Bulgarie, ou encore à Nijni Novgorod, en Russie, avant la chute du mur de Berlin.

On apprenait avec stupeur, dans un étonnant article de ma collègue Stéphanie Bérubé, qu'il y avait une pénurie de beurre au Canada. La Commission canadienne du lait a mal réagi à une augmentation de la demande pour le beurre et de la crème et son relèvement des quotas de production de lait pour corriger le déséquilibre est arrivé trop tard. Par conséquent, Ottawa devra délivrer des permis spéciaux pour importer d'urgence 4000 tonnes de beurre avant les Fêtes, soit 8,8 millions de livres.

C'est le genre de problèmes qui survenaient sans cesse dans les économies planifiées quand les plans quinquennaux n'arrivaient pas à ajuster correctement l'offre et la demande. Heureusement, ce genre d'erreurs n'arrive pas souvent. Mais l'incident nous rappelle à quel point le système de gestion de l'offre pour le lait où tout est contrôlé - la quantité à produire, le prix, le droit de produire à travers des quotas, dans un système clos qui ne peut fonctionner que si on ferme nos frontières aux produits étrangers - est une reproduction parfaite du mode de gestion de type soviétique.

Cela nous rappelle à quel point il serait important, pour l'avenir de ce secteur, que l'on réfléchisse à de nouvelles façons de faire.

Cette réflexion, amorcée en 2008 par le rapport Pronovost, semble être au point mort, et ce n'est pas le ministre actuel, l'incarnation du politicien d'autrefois, qui donnera cet élan.

Cela m'a frappé lors d'une de ses sorties récentes, au moment de la publication, il y a quelques semaines, par l'Institut du Québec, d'une étude sur l'industrie agroalimentaire. Ce que le ministre Pierre Paradis, tout réjoui, en a retenu, c'était que l'agriculture, avec ses 58 200 emplois, était plus importante pour l'économie du Québec que l'aéronautique avec ses 40 000 emplois.

La sortie était d'une rare inélégance parce qu'elle survenait quelques jours après l'annonce d'une injection d'un milliard US dans Bombardier par Québec, et ressemblait dangereusement à une critique de cette aide dans une manifestation assez étonnante de manque de solidarité ministérielle.

Elle trahissait aussi une stupéfiante ignorance. Sans vouloir du tout contester l'apport considérable du secteur agricole, son impact - en matière de valeur ajoutée, d'investissements, de productivité, d'exportations, de revenus fiscaux - ne peut pas se comparer à celui d'une industrie de haute technologie comme l'aéronautique. Rappelons toutefois que l'importance de l'agriculture se mesure aussi par d'autres critères, comme l'occupation du territoire ou son rôle identitaire.

Elle trahissait enfin une vision très partielle des choses. M. Paradis parlait des emplois de l'agriculture proprement dite quand, en fait, comme l'étude le démontrait, le poids économique de ce secteur provient de l'ensemble de la chaîne agroalimentaire, de la ferme à l'assiette. Le gros des 383 240 emplois se retrouve dans la transformation, les réseaux de distribution, la restauration. M. Paradis se comportait donc comme un ministre des agriculteurs plutôt que comme un ministre de l'agroalimentaire.

Cela a renforcé chez moi la conviction qu'il faudrait repenser la vocation de ce ministère, le MAPAQ, le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, pour qu'il s'occupe de sa mission première, l'agriculture et les pêcheries, et peut-être leur extension naturelle, l'occupation du territoire, pour confier le volet de l'alimentation, essentiellement économique, à des ministères économiques mieux équipés pour les assumer.

Ce serait d'autant plus pertinent que l'avenir passera par les exportations. L'étude de l'Institut du Québec concluait : « [...] compte tenu de la lente croissance démographique du vieillissement de la population (tant au Québec qu'au Canada), les perspectives de croissance se situent davantage du côté des marchés internationaux, notamment pour les produits transformés ». Un ministère en symbiose avec le syndicalisme agricole, tourné vers l'agriculture proprement dite, dont 40 % de la production provient de secteurs protégés par la gestion de l'offre - lait, oeufs, volaille - qui, par définition, ne peuvent pas exporter, est très mal équipé pour relever ce défi.

Le savoir-faire pour l'exportation n'est pas au MAPAQ, mais plutôt au ministère de l'Économie, de l'Innovation et des Exportations, qui, incidemment, est celui qui s'occupe aussi de l'industrie manufacturière, dont la transformation alimentaire fait partie, et du commerce, dont la distribution alimentaire et la restauration font aussi partie.