L'action de la pièce de Michel Marc Bouchard La divine illusion, présentement à l'affiche du Théâtre du Nouveau Monde, se déroule à Québec, en 1905, quand l'arrivée de la grande actrice Sarah Bernhardt a provoqué tout un émoi.

Sarah Bernhardt était venue plusieurs fois à Montréal dans le cadre de ses tournées nord-américaines. Mais l'accueil qu'on lui a réservé pour sa première, et dernière, visite dans la Vieille Capitale a été plus mouvementé. Les évêques ont demandé à leurs fidèles de ne pas assister aux représentations de ses pièces. La dernière représentation, dans l'actuel Capitole, a été perturbée par des manifestants. Et son départ vers la gare a donné lieu à des bousculades où des membres de sa troupe ont été légèrement blessés et où quelques centaines de personnes scandaient « à bas la juive ». L'incident a fait le tour du monde. Assez pour que le premier ministre canadien, sir Wilfrid Laurier, présente ses excuses.

Quand j'ai assisté à une représentation de La divine illusion, la semaine dernière, quelques jours après les attentats de Paris, je ne pouvais m'empêcher de noter que ce sursaut d'intolérance, il y a 100 ans, s'est produit à Québec. Comme si l'histoire se répétait. C'est dans cette même ville qu'on a déployé il y a quelques jours une bannière disant non aux réfugiés et qu'on a lancé la pétition qui s'oppose à la venue de 25 000 réfugiés syriens. Il y a 100 ans, comme maintenant, ce qui s'exprime, c'est la peur de l'autre.

Le massacre d'innocents à Paris par des kamikazes du groupe armé État islamique (EI) a suscité d'intenses émotions. Un sentiment d'horreur, une solidarité pour les victimes de ces massacres, des manifestations d'affection pour la France éprouvée, mais aussi la peur que la même chose arrive ici un jour. Un sondage Léger montrait que 73 % des Québécois craignaient un attentat en sol canadien. Cette crainte est justifiée. Il y a une escalade de la violence qui permet de craindre la multiplication des attentats. Et il est clair qu'à travers Paris, l'EI s'attaque à une civilisation dont nous faisons partie.

Au Québec - et sans doute ailleurs aussi -, cette peur, tout à fait légitime, s'est transformée en peur de l'autre, ou plutôt, a réveillé une peur de l'autre toujours trop présente.Dans un sondage CROP réalisé pour La Presse, 60 % des répondants se disaient opposés au projet d'accepter rapidement 25 000 réfugiés syriens, 33 % des répondants qu'on en accueille moins, 20 % qu'on leur ferme carrément la porte.

Derrière ce refus, il y a l'argument commode de la sécurité. Mais il masque autre chose. Il est possible que des terroristes puissent se glisser dans le flot des réfugiés - une crainte amplifiée par la présence d'un passeport syrien près des lieux des attentats -, mais cela ne changerait pas grand-chose au degré de risque que court le Canada. Parce que les terroristes disposent d'autres points d'entrée, et surtout parce que la menace peut aussi venir de l'intérieur, par exemple de résidants canadiens qui ont combattu dans les rangs de l'EI. En outre, les réfugiés que nous accueillerons ont déjà été soumis à un processus d'examen poussé. Les événements de Paris imposent certainement des mesures additionnelles, mais nous ne sommes pas en présence d'un flot incontrôlé, comme celui que connaît par exemple la Grèce.

Ces craintes ont aussi été nourries par la classe politique.

L'objectif du gouvernement - 25 000 réfugiés d'ici la fin de l'année - est davantage un slogan électoral qu'un engagement reposant sur une analyse de nos capacités d'accueil.Jusqu'ici, Ottawa a été très vague sur sa stratégie. Ce n'est que demain qu'on connaîtra les détails de l'opération, à peine cinq semaines avant la date butoir.

Au Québec, le premier ministre Couillard, ferme dans son désir de participer à cet effort d'accueil, a inutilement déclenché un débat partisan en accusant à l'avance ses adversaires péquistes et caquistes d'intolérance. En réaction, ceux-ci ont réclamé un débat d'urgence, un exercice qui s'est avéré malsain, où la dénonciation de l'improvisation gouvernementale leur a surtout servi à nourrir les craintes de leurs clientèles peu ouvertes à l'accueil.

Il y a des moments où des politiciens doivent arrêter de regarder les sondages et accepter d'aller à contre-courant. Parce que ces réfugiés sont les premières victimes de la terreur de l'État islamique et que notre combat contre l'EI doit aussi consister à réparer ses ravages. Mais aussi parce que le refus d'accueillir ces réfugiés va dans le sens contraire de l'esprit de solidarité avec les Français que les Québécois disent vouloir exprimer.