Combien de fois a-t-on pu entendre des remarques sur l'âge de Justin Trudeau depuis le début de cette campagne, sur le fait qu'il soit trop jeune pour devenir premier ministre, qu'il n'est pas encore prêt, qu'il devrait attendre quelques années ?

Pourtant, le chef libéral n'est certainement pas trop jeune. Il a 43 ans, le milieu de la quarantaine. C'est l'âge qu'avaient un grand nombre de politiciens quand ils sont devenus premiers ministres ou présidents, ici et ailleurs.

Le problème de Justin Trudeau, ce n'est pas qu'il soit trop jeune, mais que bien des gens n'ont pas l'impression qu'il a la maturité nécessaire pour la fonction qu'il veut occuper, ce qui n'est pas du tout la même chose.

On peut regarder l'âge qu'avaient un certain nombre de politiciens connus lorsqu'ils ont pris le pouvoir.

Au Québec d'abord. Robert Bourassa, quand il est devenu premier ministre en 1970, avait 36 ans. Toujours au Québec, Jean Charest a pris le pouvoir en 2004, à l'âge de 44 ans.

À Ottawa, depuis presque 50 ans, la quarantaine est la norme, à l'exception de Jean Chrétien et du court règne de Paul Martin. Le père du chef libéral actuel, Pierre Elliott Trudeau, est devenu premier ministre en 1968 à 48 ans. Joe Clark, qui l'a brièvement remplacé, avait 40 ans. Brian Mulroney a pris le pouvoir à 45 ans. Stephen Harper, à 47 ans.

On observe la même chose dans les pays anglo-saxons. Depuis presque un quart de siècle, les occupants de la Maison-Blanche sont dans la quarantaine : Bill Clinton, à 45 ans, George W. Bush, à 44, Barack Obama, à 47. Même chose au Royaume-Uni, depuis Margaret Thatcher. Tony Blair avait 44 ans, David Cameron, 43.

Quand Stephen Harper menait le Parti conservateur vers sa première victoire, a-t-on entendu quelqu'un dire qu'il était trop jeune pour devenir premier ministre ? Non.

Comment se fait-il que cette étiquette colle à la peau de Justin Trudeau ?

On peut trouver à cela plusieurs explications. Souvent, les politiciens qui sont encore jeunes ont l'air plus vieux que leur âge ou s'arrangent pour se vieillir un peu pour inspirer confiance. Robert Bourassa pouvait masquer sa grande jeunesse derrière un air d'économiste un peu trop nerd. Stephen Harper avait un style conservateur, sans jeu de mots, qui le vieillissait.

Avec Justin Trudeau, c'est exactement le contraire. Il a l'air plus jeune que ses 43 ans. Pour des raisons génétiques, une silhouette athlétique, une chevelure qui résiste à la calvitie, un baby face. Mais aussi par choix, un style vestimentaire et une allure résolument jeunes. Il donne donc plutôt l'impression d'avoir 35 ans, assez pour projeter l'image d'un jeune homme plutôt que d'un homme. Cette image de jeunesse est renforcée par le contraste avec ses adversaires qui, à côté de lui, ont tous l'air de « mononcles ».

Et derrière l'apparence physique, il y a le contenu, ou plus précisément, la façon de le livrer. Depuis son arrivée en politique, Justin Trudeau a plus misé sur le dialogue et sur les idées généreuses que sur les dossiers. En campagne, il défend plus ses idées sur le mode des élans que sur celui de l'analyse. Une spontanéité généreuse, un peu juvénile, qui, à tort ou à raison, ne suggère pas la profondeur ou l'autorité morale.

Est-ce que ça lui nuit ? Oui et non. Cette jeunesse le sert auprès des jeunes, évidemment, auprès de ceux qui voudraient que l'on fasse la politique autrement, et auprès de ceux qui souhaitent du changement.

Mais elle constitue aussi un handicap sérieux. Assez pour que certaines de ses publicités récentes à la radio cherchent à répondre à ceux qui pensent qu'il n'est pas prêt. Ce doute, on peut le résumer avec une image : Justin Trudeau en tête-à-tête avec Angela Merkel.