Contrairement à ses deux principaux adversaires, qui se sont engagés à atteindre des surplus budgétaires, Justin Trudeau a créé un certain étonnement en annonçant qu'un gouvernement libéral créerait des déficits pour les trois premières années de son mandat.

Mais pourquoi le chef libéral a-t-il choisi de s'écarter de ce qui est devenu un dogme ? Je me serais attendu à ce que le plan financier du Parti libéral du Canada, rendu public samedi dernier, nous éclaire là-dessus.

En soi, la création d'un déficit léger - M. Trudeau, dans son plan, le prévoit à 9,9 milliards l'an prochain, à 9,5 milliards dans deux ans et à 5,7 milliards dans trois ans - n'est pas un véritable enjeu, du moins au niveau fédéral. Contrairement au Québec, l'endettement du gouvernement central est gérable et la dynamique des finances publiques rend le combat contre le déficit relativement facile. Mais l'abandon de l'objectif du déficit zéro est une décision assez importante pour qu'on doive en justifier le fondement.

Ce n'est hélas pas le cas. Le plan libéral ne propose aucune explication structurée et se cantonne aux généralités, « pouvoir investir dans la croissance de la classe moyenne ». Il ne nous en apprend pas plus que les interventions publiques de Justin Trudeau qui invoquait la nécessité de donner un coup de fouet à une économie stagnante en injectant des fonds publics, notamment pour les infrastructures.

Les données du plan ne soutiennent pas cette thèse. Le déficit d'environ dix milliards tient, en gros, à deux facteurs : cinq milliards pour les infrastructures et cinq milliards pour l'effet net des mesures fiscales pour les classes moyennes. Cette injection de dix milliards de fonds publics est très modeste pour une économie dont le PIB dépasse légèrement les 2000 milliards. Un stimulus d'un demi de un pour cent n'aura pas d'impact digne de mention. D'autant qu'il est loin d'être évident que le ralentissement modeste que nous avons connu exigeait une quelconque intervention d'urgence.

L'autre explication, c'est celle des adversaires des libéraux, et surtout les conservateurs de Stephen Harper, pour qui les libéraux ont accouché d'un déficit parce qu'ils se sont aperçus qu'il n'y avait pas d'argent pour financer toutes leurs promesses. C'est un peu court, parce que les libéraux avaient encore une marge de manoeuvre pour éviter un déficit quand M. Trudeau a annoncé que les finances seraient dans le rouge. Mais aussi parce que la prudence des hypothèses de ce plan financier montre que le chef libéral n'est pas entouré d'une bande d'amateurs.

Alors pourquoi ? Mon explication n'est ni économique ni financière, mais purement politique. Les libéraux étaient favorables au retour à l'équilibre budgétaire jusqu'à la fin août. Ils ont changé d'idée au coeur d'une campagne électorale, ce qui suggère un calcul politique. Si leur virage est parfaitement artificiel sur le plan économique, sur le plan politique, il permet de dépasser le NPD sur sa gauche et d'exprimer de façon très imagée leur philosophie économique.

La rupture avec le principe du déficit zéro leur permet surtout de lancer une image très forte en sortant des sentiers battus, pour se démarquer clairement de leurs adversaires.

L'annonce d'un déficit est devenu un symbole, un marqueur de changement.

Justin Trudeau, dans cette lutte à trois, ne peut pas miser sur l'expérience, c'est le rayon de Stephen Harper. Il ne peut pas non plus jouer sur l'autorité naturelle, la gravitas, ce que Thomas Mulcair peut inspirer, puisque son image est plutôt associée à une certaine maladresse et à une personnalité un peu juvénile. Ce qui lui restait, c'était le thème du changement.

Le sondage d'Abacus publié lundi montre à quel point ce thème est important, en montrant que 76 % des électeurs souhaitent du changement au gouvernement. Pour ces électeurs, tandis que le chef néo-démocrate Thomas Mulcair est associé aux changements modestes et graduels, Justin Trudeau incarne davantage les changements rapides et ambitieux. Une idée assez gratuite comme la prolongation des déficits permet à celui-ci de se placer là où il espère marquer des points.