Depuis le début de cette campagne, la « puck » ne roulait vraiment pas pour Stephen Harper, assez pour que l'accumulation des mauvaises nouvelles - de l'existence d'une récession aux conséquences de la crise des réfugiés - fasse dérailler le plan de match électoral conservateur.

Mais lundi, le premier ministre a enfin pu compter sur un solide coup de pouce avec la publication du Rapport financier annuel pour 2014-2015, qui présente les données budgétaires vérifiées, et donc officielles, révélant que le gouvernement conservateur a enregistré un surplus budgétaire de 1,9 milliard l'an dernier, plutôt que le déficit prévu de 2 milliards.

Stephen Harper avait du mal à cacher sa jubilation, un peu comme un ado qui vient d'apprendre que la fille la plus populaire de l'école vient d'accepter de l'accompagner au bal de fin d'études. Avait-il raison de se réjouir ? Absolument. Dans cette campagne où les dossiers économiques se traitent à coups d'impressions et d'images, c'est vraiment une très bonne nouvelle. Ce l'est moins si on quitte le monde des émois adolescents pour passer à celui des grandes personnes.

Dans cette campagne, la façon dont est traitée la situation budgétaire a quelque chose d'artificiel.

Le budget fédéral dépasse les 280 milliards. Ce que décrivent les données officielles pour l'an dernier, c'est la transformation d'un mini-déficit en mini-surplus, parce que les sommes sont infimes, à l'intérieur de la marge d'erreur d'un budget d'une telle taille. Mais le raisonnement vaut aussi pour ce qui nous attend cette année, la possibilité que le mini-surplus de 1,4 milliard annoncé dans le dernier budget conservateur se transforme en mini-déficit de 1,5 milliard, à cause de la dégradation du climat économique, comme le prévoit le directeur parlementaire du budget.

Le retour à l'équilibre budgétaire est un objectif important, et il est certain que l'élimination totale du déficit, le déficit zéro, est la meilleure façon de mesurer les succès des gouvernements et de leur imposer une discipline. Mais le concept a pris une charge symbolique excessive.

Cela étant dit, la vraie question, dans le cadre de cette campagne, c'est de savoir si cette bonne nouvelle est un gage de succès pour la suite des choses. La réponse est non. Le surplus de l'an dernier ne garantit pas l'atteinte d'un surplus cette année, il ne la facilite même pas. M. Harper ne peut pas dire qu'il a éliminé le déficit un an plus tôt que prévu. Tout ce qu'il peut dire, c'est qu'il y est parvenu l'an dernier.

Pourquoi ? Le passage d'un déficit à un surplus l'an dernier, un revirement de 3,9 milliards, s'explique essentiellement par une chose, des rentrées fiscales plus fortes que prévu : 1,5 milliard de plus pour l'impôt personnel, 1,5 milliard de plus pour celui des sociétés. Et d'où venaient ces revenus inespérés ? D'une croissance économique supérieure à la prévision du budget : le PIB nominal a crû de 4,2 % en 2014, plutôt que de 3,9 %.

Paradoxalement, ce succès annonce un échec en 2015, parce qu'il montre à quel point les résultats budgétaires sont tributaires de l'économie. La même mécanique jouera donc en sens inverse. Comme la croissance économique ne sera que de 1 %, selon la Banque du Canada, plutôt que le 1,9 % prévu dans le budget, les revenus de l'État ne pourront que fondre, avec des effets prévisibles sur le déficit. Les chiffres de 2014 n'y changeront rien.

Le débat reste donc entier. On se demande si Stephen Harper réussira longtemps à maintenir que les prévisions de son dernier budget tiennent toujours la route. On aimerait savoir comment il entend compenser la perte de revenus que le ralentissement provoque. On voudrait aussi savoir comment Thomas Mulcair tiendra sa promesse de l'éliminer, lui aussi, le déficit. Lundi, il avait paru soulagé à l'annonce du surplus pour 2014, croyant sans doute, à tort, que cela le sortirait de l'eau chaude. Justin Trudeau n'aura pas à répondre à ces questions, puisqu'il compte créer des déficits. Mais on voudra en savoir plus sur la pertinence et l'efficacité de ces mesures de relance.

Bref, il y a amplement matière à discussion pour le débat des chefs de demain soir qui portera sur l'économie. On verra si on en sort plus avancés qu'aujourd'hui.