Le Québec dispose d'une seule véritable richesse naturelle. Ce n'est évidemment pas le pétrole. Pas non plus les mines. C'est son hydroélectricité. Le Québec est le quatrième principal producteur d'hydroélectricité au monde après les trois géants que sont la Chine, le Brésil et les États-Unis.

Cette richesse fabuleuse, nous l'utilisons mal. Nous exploitons et consommons notre électricité sur la base d'un modèle mis en place il y a un demi-siècle. Ce modèle, celui de la nationalisation et ensuite du développement massif de notre potentiel, nous a bien servis. Mais il ne tient plus la route. Au lieu de nous enrichir collectivement avec notre électricité, nous la bradons. Le fait qu'Hydro-Québec soit forcée de vendre son électricité en dessous de sa valeur est une aberration.

J'ai écrit je ne sais combien de fois sur cette question. Mais je note que l'idée d'augmenter les prix de l'électricité pour que les consommateurs paient le juste prix comporte de grands défenseurs: l'ex-ministre Claude Castonguay, dans son dernier essai, La fin des vaches sacrées, dont des extraits ont été publiés dans ces pages jeudi, ou le spécialiste de l'énergie de HEC, Pierre-Olivier Pineau, dans un texte publié hier. Je profite de la publication de ces deux textes pour continuer à taper sur le clou.

À l'époque de la Révolution tranquille, au moment de la nationalisation de l'électricité, parce que cette électricité est une ressource qui appartient à tous les Québécois, on a choisi d'en faire profiter l'ensemble des Québécois par de bas prix. Cette philosophie est encore présente dans la structure de la tarification, où le prix de l'électricité patrimoniale, celle de nos grands barrages, est à peu près gelé. Cela a façonné une culture bien enracinée, qui s'est encore manifestée cette semaine lors de la publication des excellents résultats d'Hydro-Québec. Bien des gens se sont dit que si la société d'État enregistre des profits records de 2,4 milliards, pourquoi ne pas baisser les tarifs?

Cette philosophie tarifaire date d'il y a 50 ans, avant les crises de l'énergie, avant l'OPEP, avant l'explosion de la demande énergétique avec la mondialisation, avant le réchauffement climatique, avant l'émergence de la conscience environnementale. L'idée de vendre de l'électricité en bas de sa valeur, et donc de subventionner la consommation, est plus qu'un non-sens, c'est devenu un scandale. Cela encourage la surconsommation, compromet les efforts d'efficacité énergétique, cela profite davantage aux riches, cela prive la société d'une source de revenus. On ne fait ça que dans un pays tiers-mondiste comme le Venezuela.

Les données d'Hydro montrent que les tarifs sont de 80% plus élevés en Ontario qu'au Québec, deux fois plus élevés en Alberta, trois fois plus élevés dans plusieurs villes américaines. Dans les pays scandinaves, dont les contextes sont souvent comparables aux nôtres, l'électricité est beaucoup plus chère qu'ici. En 2013, les Québécois payaient 6,87 cents le kilowattheure, les Norvégiens, 14,84, les Suédois, 20, les Danois, 45 cents! Le Québec serait-il le seul à avoir le pas?

Si le Québec ajustait progressivement le prix de son électricité, pour le doubler, pour rejoindre les prix courants, cela représenterait des revenus additionnels de 4,6 milliards par année. C'est ça que nous laissons aller!

Il va de soi qu'un tel virage, majeur, devrait être fait avec prudence, pour ne pas pénaliser les familles à faibles revenus, pour être certain, aussi, que ces revenus ne soient pas seulement une cagnotte pour le gouvernement et qu'ils soient affectés à des fonctions consensuelles: la réduction de la dette, le développement économique, la constitution d'un fonds du patrimoine.

Mais cela ne sera possible que si on s'enlève de la tête l'idée qu'une hausse de tarifs d'électricité est une taxe. L'électricité est un bien de consommation comme le téléphone, le gaz ou l'essence, que l'on devrait payer à son juste prix. Une hausse des tarifs n'est rien d'autre que la réduction de la subvention artificielle accordée par l'État depuis trop longtemps.