C'est une loi sociale et politique immuable au Québec. Un gouvernement qui veut redresser les finances publiques devra, tôt ou tard, affronter les centrales syndicales qui se dresseront sur sa route.

C'est arrivé au gouvernement de Lucien Bouchard, à celui de Jean Charest et à celui de Pauline Marois. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les trois grandes centrales, la FTQ, la CSN et la CSQ, aient annoncé en rafale qu'elles préparaient une grande mobilisation en 2015 pour combattre les politiques d'austérité du gouvernement de Philippe Couillard.

Au Québec, la capacité d'un gouvernement de maîtriser les finances publiques ou de repenser certains aspects de l'intervention de l'État dépendra de sa capacité de passer à travers cette résistance syndicale. La tâche sera sans doute plus difficile pour le gouvernement Couillard, parce que les libéraux n'ont pas de complicité avec le mouvement syndical et parce que, objectivement, les mesures d'austérité qu'il a annoncées sont sévères.

Même si on est tous habitués à ce rituel, il est quand même difficile de ne pas ressentir un certain malaise. Pas parce que le monde syndical participe au débat public. Mais à cause de la désagréable confusion des genres qu'il entretient, en transformant la défense des intérêts de ses membres en défense du bien commun.

Les leaders syndicaux ont d'abord réagi aux mesures qui frappent les employés du secteur public et parapublic : un gel des salaires de trois ans, un gel des effectifs, des compressions qui affecteront les conditions de travail, un changement des règles du jeu dans les régimes municipaux de retraite perçus comme une menace. Il y en a bien assez pour justifier une mobilisation syndicale.

Mais il sera très difficile pour les centrales de susciter un vent de sympathie de la population pour les 13,5 % de hausses salariales qu'elles réclament ou pour la protection de régimes de retraite auxquelles le commun des mortels n'ose même pas rêver. Leur seule façon de susciter des appuis, c'est de ne pas parler de leurs négociations et d'élargir le débat pour présenter leur bataille comme celle de la défense du service public et la préservation du modèle québécois, menacé, comme le veut la fable, de « démantèlement ».

S'il y a du calcul dans cette stratégie, elle reflète aussi une confusion sincère. L'histoire du mouvement syndical québécois, sa composition, sa culture, le très fort taux de syndicalisation, s'expliquent très largement par le développement de l'État québécois. L'imbrication est telle que, dans la vision syndicale, la préservation de l'État, la défense du modèle québécois ou celle des intérêts syndicaux deviennent une seule et même chose.

Ajoutons à cela le caractère essentiellement défensif de la logique syndicale et sa culture des droits acquis, et on en arrive à une situation où la seule façon de préserver le modèle - bien sûr jamais défini - est de ne toucher à rien, parce qu'on trahira toujours quelque chose, et de maintenir la croissance des dépenses publiques à un rythme plus grand que celui de la richesse collective.

En fin de compte, l'issue de l'affrontement dépendra, d'un côté, de la détermination du gouvernement, et de l'autre, de la capacité des centrales de rallier une partie de la population à leur cause. Elles auront fort à faire pour recréer un printemps érable, en raison de l'appui de la population au principe de la rigueur, du peu de sympathie pour leurs revendications, d'une certaine coupure idéologique entre le leadership syndical et sa base, et de la faiblesse des alternatives qu'il propose, des hausses d'impôt pour rétablir l'équilibre des finances publiques.

Mais ce rituel montre encore une fois à quel point le syndicalisme québécois est devenu une formidable force de résistance au changement, qui contribue à la paralysie de la société québécoise.