Noël arrive. C'est l'époque de l'année où les Québécois qui respectent les traditions culinaires achèteront une dinde pour Noël. À l'échelle canadienne, l'an dernier, c'est 3,9 millions de dindons entiers qui ont été vendus en décembre, soit 44% de la consommation annuelle.

La tradition est belle, elle est forte, mais elle nous coûte cher, du moins, plus cher que chez nos voisins. Une dinde congelée de qualité coûtera 1,89$ à 1,99$ la livre. Il y a quelques semaines, les Américains, chez qui le rituel de la dinde se déroule plutôt à l'Action de Grâce, ne payaient que 1,19$ US la livre, soit 1,33$ CAN: les Canadiens paient 50 % de plus ! Ils pouvaient trouver des aubaines à 0,79$ la livre et même à 0,54$ dans des chaînes qui se servaient de ces gallinacés comme produits d'appel.

Le prix de la dinde au Québec et dans le reste du Canada s'explique par le fait que cette production est régie par un système de gestion de l'offre, comme pour les poulets, les oeufs ou les produits laitiers.

Quand une denrée agricole est trop abondante, les prix chutent, comme les tomates au mois d'août. La gestion de l'offre consiste à limiter la quantité produite par les agriculteurs, par exemple avec des quotas de production, pour maintenir les prix élevés et assurer ainsi des revenus stables et prévisibles aux agriculteurs.

Ce système pénalise les consommateurs, il nuit à l'économie et il est débilitant pour les agriculteurs qu'il est censé protéger. Mais il n'y a pas beaucoup de politiciens qui oseront s'y attaquer, en raison du poids électoral du lobby agricole. Sauf s'ils sont à la retraite, comme Brian Mulroney qui, dans un discours la semaine dernière à Ottawa, a ouvert très prudemment la porte à une remise en cause: «Nous devrions réfléchir à la recherche d'une porte de sortie prudente, innovatrice et généreuse de nos programmes de gestion de l'offre pour les produits laitiers et la volaille».

Le Québec et Ottawa subventionnent peu les agriculteurs, moins que bien des pays, mais ils le font par la porte d'en arrière. Ce sont les consommateurs qui sont forcés de subventionner les agriculteurs, car la gestion de l'offre force les consommateurs à payer une prime, qui est une sorte de taxe, régressive parce qu'elle porte sur des produits essentiels.

Il y a une autre conséquence, moins visible, mais plus profonde. Pour que le système fonctionne, il faut empêcher les produits étrangers de tout gâcher. On les bloque donc, soit par des quotas d'importation, soit par des tarifs douaniers. Le coût est énorme, car si le Canada ferme ses portes à certains pays, ces pays répliquent en fermant leurs portes aux produits canadiens.

Les secteurs soumis à la gestion de l'offre - produits laitiers, dinde, poulet, oeufs - avec des recettes de 3,1 milliards sur un total de 8,0 milliards, représentent 40% de la production agricole. À toutes fins pratiques, ils ne peuvent pas exporter. Et c'est ainsi que 40% de notre agriculture est condamnée à une certaine stagnation, parce qu'elle ne peut compter que sur un marché intérieur vieillissant et en faible croissance, et qu'elle ne peut pas profiter du potentiel énorme ouvert par l'explosion de la population mondiale. Ces secteurs sont aussi fragiles, comme l'a montré la panique provoquée par l'arrivée prochaine de plus de fromage européen.

À l'inverse, la production porcine, deuxième secteur agricole en importance, qui n'est pas protégée, se développe tellement à travers le monde que le porc est devenu le dixième produit d'exportation du Québec, devant les moteurs d'avions et l'électricité.

Les systèmes de gestion de l'offre sont condamnés à disparaître tant les pressions internationales sur le Canada sont fortes. Il serait plus sage, au lieu de se complaire dans le déni, de choisir nous-mêmes le moment et la façon dont on en sortira progressivement.