L'idée du gouvernement Couillard de moduler les tarifs de CPE a provoqué une levée de boucliers, fascinante par la nature religieuse des arguments invoqués. Le réseau des garderies est passé dans le tordeur de la sacralisation et devient donc intouchable.

Parce qu'il touche à la fois à l'austérité, aux femmes, au principe de l'universalité, l'enjeu réussit à unir les forces qui s'opposent de toute façon à un gouvernement libéral, quel qu'il soit, et qui ont peut-être trouvé la cause mobilisatrice qu'ils cherchaient. Les casseroles ne sont pas loin.

Il est vrai que la hausse salée à laquelle songe le gouvernement Couillard contredit ses engagements électoraux. Il est vrai aussi que la modulation - faire payer davantage les parents plus fortunés - constitue un changement de philosophie fiscale. Je ne sais pas s'il s'agit de la meilleure formule pour mieux financer le système de garde, les bribes d'information qui font l'objet de fuites sont trop incomplètes pour vraiment se faire une idée. Mais je sais qu'une réflexion adulte ne peut pas reposer uniquement sur des slogans et des symboles. Voici quelques éléments pour ramener le débat sur la terre ferme.

- Une réalité. Il y a une crise financière, dont la gravité dépasse ce que l'on pouvait prévoir. Toute discussion sur une mesure gouvernementale de nature budgétaire qui fait abstraction de cette réalité a quelque chose d'immature.

- Une précision. Le fait de faire payer les citoyens pour un service public en fonction de leur revenu ne trahit pas les fondements de notre fiscalité. Cette pratique n'est pas répandue, mais elle existe bel et bien. Elle s'applique, dans l'autre direction, pour bien des services gratuits ou à prix réduit pour les plus pauvres. On la retrouve dans le calcul de la contribution des citoyens au régime public d'assurance médicaments, ou encore avec la pension de vieillesse universelle fédérale que les plus riches doivent rembourser dans leur déclaration d'impôt.

- Un rappel. L'universalité est un mot galvaudé dans ce dossier, parce que le réseau des CPE n'est pas universel: seulement 35,2% des familles y ont accès. 37,1% recourent à la garde en milieu familial, 27,7% à des garderies privées. 17% des parents ne profitent pas des subventions. Comme par hasard, ceux qui profitent le moins des services de garde à contribution réduite sont ceux qui proviennent des milieux défavorisés.

- Une confusion. J'en ai parlé mercredi. Il est faux d'affirmer que la modulation imposerait aux plus riches un double fardeau intolérable. Pour un parent dont le revenu se situe entre 70 000$ et 100 000$, la somme additionnelle qu'il débourse pour les CPE en raison de la progressivité de l'impôt sur le revenu, s'élève à 0,62 $ par jour! Pour les 100 000$ et plus, cette contribution additionnelle grimpe à 2,23$.

- Un principe. Il y a une crainte que des hausses trop élevées aient un effet dissuasif et poussent des femmes à quitter le marché du travail. Ce serait en effet un désastre. Mais justement, la modulation, en faisant porter le fardeau aux plus riches, réduit ce risque. À première vue, la hausse n'est pas assez forte pour avoir cet impact négatif.

- Un calcul. Une famille au revenu de 100 000$ paiera 12$ par jour. Selon les calculs de mon collègue Francis Vailles, son coût net, quand on tient compte des déductions fiscales fédérales, sera plutôt de 8,88$. Les moins riches, tous ceux dont les revenus sont inférieurs à 75 000$, paieront 8$, pour un coût net de 6,24$. Le fardeau additionnel pour ces parents plus riches sera de 2,64$ par jour, soit 660$ par année. Pour une famille au revenu de 150 000$, le fardeau additionnel sera de 1263$.

- Une question. Est-ce que, 660$ de plus pour une famille dont le revenu est de 100,000$ par année - ou 1263$ pour des revenus de 150,000$ - poussera une femme à rester à la maison? La réponse est non.