Il y a quelques jours, on apprenait que de 20 à 30 gros pétroliers pourraient quitter le port de Sorel chaque année. Une autre nouvelle révélait que 175 pétroliers partiraient du port de Cacouna. Ce seraient là les conséquences de la mise en service de deux pipelines provenant de l'Ouest canadien qui transformeraient le Québec en point de départ pour du pétrole des sables bitumineux de l'Ouest plutôt qu'en point d'arrivée pour du pétrole étranger, provenant surtout d'Afrique.

Est-ce beaucoup? Pas beaucoup? Tout dépend de la base de comparaison. Il faudrait d'abord savoir quels sont le volume et la nature du trafic maritime sur le Saint-Laurent. Et bien, la réponse, c'est qu'il y a plus de 5000 navires de marchandises qui circulent sur le fleuve chaque année. Mettons que ça change un peu la perspective.

Ce chiffre, qui vous étonnera sans doute, met en relief notre méconnaissance du fleuve, surtout dans la région montréalaise où le Saint-Laurent, c'est surtout quelque chose sur laquelle on met des ponts. Le fleuve est une voie de circulation depuis la colonie. C'est devenu un axe de transport vital pour le Québec, et le transport maritime constitue une activité économique majeure dont on mesure mal l'importance.

Cette ignorance nourrit une vision romantique du fleuve. On s'inquiète du fait que le fleuve devienne une autoroute pour le pétrole. Mais la vérité, c'est qu'il est une autoroute maritime depuis des décennies et des décennies, y compris pour le pétrole. Cela ne permet certainement pas d'avaliser tous les projets de transport pétrolier, mais cela devrait changer la façon dont on les aborde.

Les statistiques portuaires se font surtout en termes de tonnage. Il y a peu de chiffres sur le nombre de navires. Mais selon Transport Canada, en 2011, le trafic - soit le nombre de navires en transit dans les différents ports du fleuve, de Port-Cartier à Montréal - atteignait 5164 navires.

Le port de Montréal dispose quant à lui de données plus précises. En 2013, 1933 navires y ont chargé ou déchargé des marchandises, pour un total de 28 millions de tonnes métriques. Les produits pétroliers - essence, mazout, fuel pour avions, etc. - comptaient pour 9,4 millions de tonnes, soit le tiers du total, dont les troisquarts étaient des arrivages. Pour acheminer tous ces produits pétroliers, il a fallu pas mal de navires. Sans doute quelque chose comme 200 ou 300.

Par ailleurs, à Québec, jusqu'à tout récemment, la raffinerie de Valero à Saint-Romuald était alimentée par de gros pétroliers, 90 par année, presque deux par semaines, quoique l'arrivée du pétrole de l'Ouest a déjà commencé à changer la donne.

Ça, c'est le fleuve aujourd'hui. Une voie de circulation maritime majeure où, depuis des années, on compte des centaines de pétroliers.

Avec la nouvelle donne, il y aura peut-être, à terme, 200 à 300 pétroliers qui quitteront nos eaux. Et qui remplaceront autant, sinon plus, de pétroliers qui venaient de l'extérieur. Ce n'est pas une révolution.

Cela met en relief une incohérence du discours dominant où on s'indigne du fait que du pétrole puisse quitter le Québec par bateau, mais qu'on tolère celui qui y entre. Bien sûr, à cause du symbole des sables bitumineux. Pourtant, les navires qui quittent nos ports, sur lesquels on peut exercer un plus grand contrôle, devraient être plus sécuritaires que ceux qui viennent d'Afrique ou d'ailleurs.

Il reste bien des inconnues. La taille des nouveaux pétroliers représente-t-elle un risque accru? Le pétrole des sables bitumineux provoquerait-il plus de dégâts en cas de déversement? Peut-on construire un terminal pétrolier à Cacouna en satisfaisant aux impératifs environnementaux? Ces questions doivent être soumises à un examen rigoureux. Mais c'est un débat que l'on pourrait faire avec plus de sobriété.