Dans une entrevue publiée mardi dans Le Devoir, le député péquiste de Saint-Jérôme, Pierre Karl Péladeau, a fait tout un virage. Le magnat de la presse, connu pour des prises de position publiques que l'on associe d'habitude à la droite, a dénoncé à qui mieux mieux les compressions annoncées par le gouvernement Couillard et ses politiques d'austérité.

Ce virage n'a rien de surprenant, il s'explique par un calcul politique assez prévisible. Mais il est troublant, parce qu'on se demande comment M. Péladeau réussira à vivre avec son virage anti-austérité s'il devient chef du PQ et donc chef de l'Opposition, et à plus forte raison s'il devient un jour premier ministre du Québec.

Au plan politique, M. Péladeau n'avait pas vraiment le choix. Sans avoir annoncé encore ses couleurs, il est de loin le favori dans la course à la direction du parti dont il est maintenant membre. Ce parti, surtout sa base militante, est à gauche, dominée par le monde syndical. M. Péladeau peut sans doute l'emporter sans ces militants de gauche, mais il ne pourra pas créer un consensus autour de sa victoire sans atténuer les craintes que sa candidature suscite dans ces milieux.

À cela s'ajoute le déplacement de l'échiquier politique. Le centre et la droite du centre sont maintenant bien occupés par les libéraux et les caquistes, qui se marchent littéralement sur les pieds. Le seul espace politique où le Parti québécois peut prospérer, c'est à la gauche du centre, ce qui exige un repositionnement stratégique.

C'est de bonne guerre qu'un membre de l'opposition s'attaque aux compressions du gouvernement Couillard, qu'il dise au Devoir: «C'est sans véritable réflexion, ce n'est pas chirurgical, c'est quasiment la scie à chaîne». Mais il va beaucoup plus loin, car non seulement critique-t-il la manière, il remet en cause le principe même de ces mesures d'austérité. «J'ai bien peur que ce soit hautement dogmatique et idéologique», ajoutant que les libéraux exagèrent la gravité de la situation. Parlant de la dette, il dit: «Mais on n'est pas à 125% du PIB, ce n'est pas la Grèce. Pourquoi tout d'un coup, on crie au loup» ?

Et pourtant, le cadre financier du gouvernement Couillard, son obsession «dogmatique et idéologique» est très exactement la même que celle du gouvernement Marois, les cibles de réduction du déficit en 2015-2016 sont les mêmes, les cibles de réduction de la dette aussi.

«L'objectif que nous nous sommes fixé en matière de dépenses est exigeant. Il correspond à une conviction. Nous sommes persuadés que la création d'emplois et la prospérité qu'elle permet ne pourront être durables que si elles s'appuient sur une situation financière saine. Le défi est de combler le plus rapidement possible l'écart entre les dépenses et les revenus creusé depuis la récession de 2008-2009.» Ce n'est pas le ministre des Finances Carlos Leitao qui a écrit cela, mais son prédécesseur Nicolas Marceau dans son budget de février dernier.

Est-ce que M. Péladeau renie les politiques budgétaires de son parti? Ou est-ce qu'il nous donne tout simplement un autre exemple du fait que, dans l'opposition, on peut dire le contraire de ce qu'on dirait au pouvoir? Mais il n'en reste pas moins que cela exigerait que M. Péladeau précise sa pensée. S'il était au pouvoir, est-ce qu'il mettrait la pédale douce sur la réduction du déficit et de la dette?

Au-delà des chiffres toutefois, Pierre-Karl Péladeau a élaboré une espèce de théorie du complot selon laquelle le gouvernement Couillard «crie au loup», exagère la gravité de la crise financière pour s'attaquer au modèle québécois, pour transformer le Québec en «province comme les autres», et «faire table rase de ce qui s'est passé avant». M. Péladeau s'oppose donc à l'austérité pour des raisons identitaires.

Rappelons que si le Québec n'est pas la Grèce, selon les calculs du ministère des Finances, il était quand même, juste avant la crise, au cinquième rang de l'OCDE pour le niveau de sa dette. Est-ce vraiment le genre de spécificité que nous voulons préserver?