Le débat sur le projet de loi 3 sur la réforme des régimes de retraite municipaux est complexe, entre autres parce qu'il se mène à trois niveaux : les faits, la façon et le fond. Les faits, c'est le débat de chiffres sur l'état de santé réel de ces régimes. La façon, c'est le cadre de règlement uniforme que le gouvernement Couillard veut imposer aux Villes. Le fond, c'est la légitimité même de la démarche.

C'est du fond dont je veux parler aujourd'hui, l'aspect le plus important. Le monde syndical a en effet assis tout son argumentaire sur le fait que le projet de loi, en plus de comporter des éléments de rétroactivité, remet en cause le droit de négocier. C'est la « Coalition syndicale pour une libre négociation » qui mène le combat contre le projet, c'est « libre négo » qui est écrit sur les autocollants rouges qui défigurent les autobus, les camions de pompiers et les autos de police. Dans ces pages, la vice-présidente de la CSN a parlé d'atteinte à un droit fondamental. Et c'est au nom de ce droit que la FTQ veut contester la loi devant les tribunaux.

Cette bataille repose sur un fondement fragile. Parce qu'il n'y a jamais vraiment eu de « libre négo » dans le monde municipal, où les relations de travail reposent sur un déséquilibre permanent qui rend difficile, sinon impossible, un processus de négociation normal.

Et pour ceux qui en douteraient, les syndicats municipaux en ont fait la démonstration de façon limpide depuis quelques semaines. Les moyens de pression qui ont coloré la torpeur estivale - les autocollants, les déguisements des policiers, l'irruption très grave dans l'hôtel de ville, les menaces d'escalade, les appels à la grève illimitée - n'avaient rien de nouveau. Cela s'est souvent passé comme ça depuis des décennies.

En reprenant une stratégie que l'on croyait chose du passé, les syndicats nous ont surtout rappelé comment leurs acquis ont été obtenus. Ces retraites et ces conditions de travail, nettement plus généreuses qu'ailleurs, n'ont pas été négociées. Dans bien des cas, notamment à Montréal et à Québec, elles ont été arrachées à des Villes qui n'avaient pas le choix.

Le résultat est bien là. Et il n'a rien de théorique. De tous les groupes de travailleurs au Québec, ce sont les employés municipaux qui ont la rémunération globale - salaires, horaires, retraites - la plus élevée. 37 % de plus que les employés du gouvernement du Québec, 13 % de plus que les employés fédéraux, 27 % de plus que les employés du privé, selon l'Institut de la statistique du Québec.

Il y a là une évidente anomalie. Comment expliquer que les Villes, moins riches que les gouvernements supérieurs, dont les employés ne sont pas connus pour leur ardeur au travail, dont plusieurs des missions sont relativement peu complexes, soient plus généreuses que Québec ou Ottawa ?

Cela s'explique essentiellement par le fait que les employés municipaux détenaient un rapport de forces considérable parce qu'ils peuvent paralyser les villes - collecte des déchets déneigement, pompiers, police, transport en commun - ce qui les forçait à céder pour éviter le chaos.

Cette impuissance des administrations municipales a été d'autant plus grande qu'elles ne disposaient pas des outils que peuvent utiliser les autres employeurs : droit de lockout ou réalités économiques dans le cas du secteur privé, ou lois spéciales pour imposer les conditions de travail pour les gouvernements. Ajoutez la dynamique de la parité et l'effet des fusions municipales qui ont encouragé la surenchère.

Quand on tient compte de ce passé, et de la véritable anomalie que constituent les conditions de travail dans le municipal, l'idée de restreindre la dynamique classique de la négociation est un outil qui permettrait un retour à l'équilibre.