Il y a du non-dit dans la polémique qui a entouré les bonis touchés par le ministre Yves Bolduc lorsqu'il a repris la pratique médicale, un élément central de la problématique dont personne n'ose parler.

Ce gros éléphant dans la pièce, ou plutôt dans le Salon de la race, c'est le salaire des députés de l'Assemblée nationale, anormalement bas pour leur charge de travail et leurs responsabilités. Si les députés avaient été mieux rémunérés, M. Bolduc aurait sans doute été moins exubérant dans sa chasse aux nouveaux patients.

Au Québec, l'indemnité de base d'un député est de 89 950$ en 2014, à laquelle s'ajoutent des primes non imposables de 16 226$ pour les frais, qui ne constituent pas du salaire déguisé, parce que leur fonction leur impose des dépenses, déplacements, séjours à Québec. Est-ce beaucoup? Est-ce peu?

Dans le débat public, dominé par le populisme, c'est grassement payé. Les députés touchent le double du salaire hebdomadaire moyen, qui donne 43 516$ par année. Mais un député n'est pas un commis à l'expédition. Il a des fonctions de législateur, des responsabilités à l'égard de son comté et de ses commettants, une charge de travail significative y compris en fin de semaine. Ajoutons l'impact sur la vie familiale, le stress, l'absence inhérente de sécurité d'emploi. On reconnaît tout ça à Ottawa, où le député touche 163 700$, un montant qui inclut toutefois les allocations.

Il faut aussi tenir compte du fait que l'on veut, collectivement, attirer des candidats compétents, notamment parce que c'est parmi eux que seront choisis les ministres. Il faut donc regarder combien sont payés les gestionnaires ou les professionnels qui disposent de ces aptitudes. Un médecin généraliste touchait 264 673$ l'an dernier. Un recteur d'université, 350 000$. Un haut fonctionnaire, plus de 200 000$. Le président de Loto-Québec, 350 000$. Un professeur d'université, 100 000 à 120 000$. La plupart des professionnels, le bassin où l'on souhaite recruter de futurs ministres, doivent accepter, pour se lancer en politique, une baisse de salaire significative.

Évidemment, le revenu des députés augmente avec leur fonction: 107 904$ pour un adjoint parlementaire, 112 438$ pour le président d'une commission, 157 413$ pour un ministre ou pour le chef de l'opposition, et 184 398$ pour le premier ministre. Mais, dans la plupart des cas, c'est nettement moins que ce qu'ils auraient pu toucher dans la vie civile.

Même si M. Bolduc n'a pas parlé de ses besoins financiers pour expliquer sa charge de médecin et ses bonis, il est assez évident que ses revenus ont pris toute une débarque quand il s'est retrouvé, en 2012, sur les banquettes de l'opposition, une situation qui risquait de durer un bon six ans.

Mais c'est un sujet tabou. Un rapport d'un comité consultatif indépendant, présidé par l'ex-juge Claire L'Heureux-Dubé, remis en novembre 2013, dort sur une tablette. Le titre même de ce rapport, «Le député au coeur de notre démocratie, pour une rémunération juste et équitable», envoie des messages. Que le rôle du député exige une rémunération digne de sa fonction, et qu'actuellement, celle-ci n'est ni juste ni équitable.

Le comité recommandait d'intégrer les allocations au salaire du député et de les rendre imposables, pour des raisons de transparence, et d'augmenter ce salaire à 136 010$. Il suggérait aussi d'augmenter le salaire des ministres à 217 616$ et celui du premier ministre à 272 020$, pour que leur rémunération soit au moins égale à celle du plus haut fonctionnaire sous leur autorité.

C'est toutefois un dossier que personne n'ose défendre. Il n'y a certainement pas de mouvement en ce sens dans l'opinion publique. Les députés ne veulent pas se faire accuser d'être en conflit d'intérêts. Le gouvernement peut difficilement agir en période d'austérité. Et voilà pourquoi nous avons, depuis des décennies, des députés mal payés.