Il y a, au Québec et au Canada, une prise de conscience de l'importance de protéger nos entreprises performantes et de conserver le contrôle des rares sièges sociaux que nous avons, après des échecs comme l'achat d'Alcan par Rio Tinto ou la menace qui a pesé sur Rona.

Le ministre Nicolas Marceau a même déposé, avec son budget, le rapport d'un groupe de travail sur la question présidé par Claude Séguin. Et pourtant, le Québec risque, dans les semaines qui viennent, de perdre un siège social, celui d'Osisko. Et ça risque de passer sous le radar, en campagne électorale, même si les trois principaux partis jurent que l'économie doit en être l'enjeu principal.

L'histoire d'Osisko est remarquable. Des Québécois têtus, qui croyaient fermement qu'il y avait encore un potentiel aurifère à Malartic, où toutes les mines étaient fermées, ont réussi à trouver les 2,3 milliards nécessaires pour construire une mine à ciel ouvert connue pour sa situation au coeur de la petite ville abitibienne. Cette mine fonctionne, elle est rentable, elle emploie 800 personnes. C'est la plus grosse mine du Québec et la plus grosse mine d'or du Canada.

Mais en janvier, un géant minier, Goldcorp, voulant profiter d'une faiblesse relative du prix de l'or et du cours des actions des sociétés du domaine, a fait une offre d'achat hostile sur Osisko. Disons-le tout de suite, Goldcorp n'est pas un aventurier, mais une société respectable, qui mettra en exploitation bientôt une autre grande mine d'or à la Baie-James. Ce n'est pas une société étrangère, elle vient de Vancouver.

Mais Vancouver, c'est loin. Si Goldcorp prenait le contrôle d'Osisko, Montréal perdrait un siège social, un centre de décision, avec toutes les activités structurantes qui s'y rattachent, conseillers juridiques, ingénieurs, fiscalistes. Et l'Abitibi perdrait un important moteur économique. Car si Goldcorp est intéressée aux réserves d'or de Malartic, elle ne voudra pas poursuivre toutes les autres activités de développement d'Osisko, que celle-ci fait essentiellement avec des fournisseurs et des partenaires québécois, géologues, arpenteurs, fiscalistes, entrepreneurs spécialisés. C'est ce savoir-faire qui est menacé, ainsi que la capacité du Québec à garder un contrôle sur le développement de son potentiel minier.

Il y a une différence majeure entre les investissements directs, comme ceux que Goldcorp a effectués dans sa mine de la Baie-James, et les opérations boursières spéculatives comme celle dont Osisko est l'objet, qui ne créent aucune valeur, qui ne créent aucune richesse. Et qui, dans ce cas-ci, ne sont pas dans l'intérêt public.

Aux États-Unis, le conseil d'administration d'une société cible d'une offre d'achat hostile peut dire non et bloquer le projet. Pas ici. Les dirigeants d'Osisko, s'ils veulent maintenir l'intégrité de leur entreprise, devront trouver des fonds, par exemple en recrutant un partenaire qui achètera une partie de la mine, pour offrir à leurs actionnaires plus que ce Goldcorp leur a offert, et ainsi se lancer dans une surenchère coûteuse.

Ils peuvent aussi trouver des alliés, des actionnaires fidèles qui ne vendront pas au plus offrant. Qui? La Caisse de dépôt pourrait s'impliquer, Investissement Québec, ou encore, comme le proposent les libéraux, le Fonds des générations. Cela prend aussi une mobilisation du milieu, et un message clair du gouvernement du Québec pour dire que cette transaction n'est pas la bienvenue. Il ne s'agit pas de charité ni d'une subvention, car Osisko est en bonne santé, mais d'un geste pour contrer une anomalie de notre cadre réglementaire.

La méfiance des Québécois à l'égard du secteur minier s'explique beaucoup par le fait que ce secteur a été dominé, pendant des générations, par des entreprises étrangères. Pour une fois, il y a, sur le territoire québécois, une mine majeure contrôlée par des Québécois. Soyons cohérents.