Le simple fait d'évoquer le «pays», comme l'a fait le candidat-vedette Pierre Karl Péladeau, n'a pas seulement fait dérailler le plan de match électoral de Pauline Marois, il a fait dérailler le Parti québécois tout court.

Le sondage CROP, que publiait La Presse, hier, confirme les tendances révélées la semaine dernière et montre que les libéraux voient leurs appuis augmenter à 39%, tandis que ceux des péquistes baissent à 36%. Le PLQ se retrouve en tête sans doute à cause de l'arrivée de M. Péladeau et du débat sur la souveraineté qu'il a déclenché.

Cela nous confronte à une évidence. Un parti qui plafonne à 36-37% des intentions de vote ne peut pas, s'il reprend le pouvoir et s'il déclenche un référendum, obtenir les 50% d'appuis dont il aurait besoin pour le remporter. Encore moins quand il perd des points chaque fois qu'il parle de son projet. Il y a là une arithmétique implacable.

La seule façon de résoudre l'impasse, c'est de compter sur un miracle. Et c'est sur ce terrain mouvant de la pensée magique que se sont aventurés les stratèges péquistes avec le recrutement de Pierre Karl Péladeau, accueilli avec enthousiasme par ses nouveaux camarades, surtout pour le coup de pouce qu'il pourrait donner à la cause de l'indépendance.

Quand on y pense un peu, l'idée que l'arrivée de PKP puisse rebrasser les cartes était naïve et simpliste, comme si le fait que ce grand patron adhère à la cause pouvait, comme par magie, dissiper les inquiétudes économiques réelles que suscite ce projet.

Mais cela a eu un impact, beaucoup plus limité: celui d'enthousiasmer les souverainistes convaincus, pour qui cela a été une lueur d'espoir, un signe que le rêve est encore possible. Le problème, c'est que cet élan de ferveur n'était pas communicatif. Si les vrais souverainistes ont été galvanisés, cela n'a pas ébranlé les autres, ceux qu'il faudrait convaincre. Le fait que les souverainistes sortent de leur hibernation et se mettent à rêver d'un référendum a plutôt joué un rôle de repoussoir. Cela a polarisé le débat et poussé bien des caquistes dans les bras des libéraux.

On oublie que s'il est important de savoir pour qui ou pour quoi les gens sont prêts à voter, il faut aussi mesurer pour qui ou pour quoi ils ne voteront jamais. Or, ce à quoi on assiste, c'est non seulement le fait que l'appui à la souveraineté est faible - un peu en dessous de 40% - , mais aussi qu'il existe un bloc important de citoyens, de 55 à 60%, opposés à la souveraineté, qui ne changeront pas d'idée et qui réagissent mal à la perspective d'un autre référendum.

Ce sentiment est si fort que le chef Philippe Couillard a marqué des points même si sa position constitutionnelle a été confuse tout au long de la semaine dernière, parce que son parti est en train de devenir une valeur refuge.

La pensée magique, on la retrouve aussi dans le rêve que M. Péladeau puisse refaire ce que Lucien Bouchard avait réussi en 1995. Les temps ont changé et la masse d'électeurs «mous» qui pourraient basculer n'existe plus. On peut aussi rêver au succès d'une stratégie de lavage de cerveau avec un livre blanc, qui pourra difficilement fonctionner quand la seule évocation d'un référendum a un effet de repoussoir.

D'ailleurs, dans notre sondage CROP, 64% des répondants - presque les deux tiers - ne veulent pas de référendum. En principe, pour un enjeu aussi majeur, la première ministre Pauline Marois devrait écouter les Québécois ou, à tout le moins, dévoiler clairement ses intentions. Ça n'arrivera pas. Car pour survivre politiquement, coincée entre ses militants et les autres électeurs, elle est condamnée au manque de transparence et à la dissimulation.