Paradoxalement, les éléments les plus intéressants du budget présenté jeudi par le ministre des Finances Nicolas Marceau ne sont pas vraiment dans le budget. Ce sont des documents qui ont été déposés en même temps que le budget, mais qui n'en font pas partie: un rapport sur le maintien des sièges sociaux, et surtout, le rapport du Groupe d'experts pour un financement axé sur le patient.

Ce rapport, Pour que l'argent suive le patient, propose une réforme qui représentera une révolution dans le monde de la santé. Elle consiste à inverser la façon dont sont financés les établissements. À l'heure actuelle, dans la plupart des cas, leur budget est établi sur une base historique. Avec cette réforme, leur financement sera basé sur les services qu'ils procurent aux patients, en fonction du volume réel de leurs activités, mais aussi en fonction de critères de qualité. Dans une telle logique, le patient cesse d'être un coût, pour devenir en fait une source de revenus, parce que l'argent le suit.

Cette réforme permettra d'atteindre une plus grande efficacité, de stimuler le réseau, et de lui permettre de faire plus et de faire mieux. Mais le groupe de travail, présidé par Wendy Thomson, professeure à McGill qui a été conseillère de Tony Blair au Royaume-Uni, propose sagement une approche par étapes. Et ce, pour éviter les chocs brutaux sur le système, en commençant tout de suite, mais en implantant la méthode dans trois secteurs précis: les services chirurgicaux, un financement des meilleures pratiques en coloscopie, et un financement favorisant l'intégration des services dans le cas des maladies chroniques.

Évidemment, ce n'est pas fait. Et on sait qu'il y a toujours une tablette qui attend les rapports. Mais le ministre Marceau s'est engagé formellement à appuyer sa mise en oeuvre. Et on sait que cette réforme est vue d'un oeil favorable par l'opposition libérale, puisque c'est le gouvernement Charest qui avait créé ce groupe de travail en 2012.

Dans ce dossier, M. Marceau appuie le genre de réformes structurelles dont le Québec a besoin pour résoudre l'impasse des finances publiques. Mais c'est un dossier très technique, difficile à vendre à la population - pas de millions, pas de rubans à couper, des résultats dans quatre ou cinq ans. Et sans doute pas d'économies. Car, si cette forme de financement permet une plus grande efficacité, le résultat concret sera que le réseau pourra offrir plus de services, réduire les attentes, satisfaire plus de besoins. L'effet budgétaire, très indirect, consistera surtout à réduire la pression sur la croissance des coûts.

Ce projet pourra susciter des réactions dans un réseau connu pour sa légendaire résistance au changement, notamment en raison des pressions corporatistes qui le paralysent - omnipraticiens, spécialistes, infirmières, syndicats, établissements. Mais il y a un autre pôle corporatiste en santé: la caste des bureaucrates.

Et, d'après moi - j'avoue le dire de façon impressionniste -, cette caste a une part importante de responsabilité dans l'immobilisme du réseau de la santé: les échecs de l'informatisation, les retards gênants dans l'information clinique et la connaissance des coûts, ou le fait que l'on pense au financement axé sur le patient seulement en 2014, alors que ce type de financement est déjà implanté dans presque tous les pays développés.

Cette résistance du monde de la santé, on la voit notamment au fait que ce projet majeur est piloté depuis le début par le ministère des Finances, d'abord par le libéral Raymond Bachand et maintenant par son successeur péquiste Nicolas Marceau. Et c'est ce dernier qui défend la réforme avec enthousiasme, tandis que, jusqu'ici, son collègue de la Santé, Réjean Hébert, a surtout exprimé des réticences sur le financement par activité. C'est un problème.