Lorsque quelques personnalités politiques, dont Bernard Landry et Monique Jérôme-Forget, ont publié un manifeste pour souhaiter que le Québec exploite son pétrole, on pouvait s'attendre à un contre-manifeste. Ça n'a pas tardé.

Lundi, des personnalités qui émanent de ce qu'on pourrait appeler la mouvance écolo-artistique - Pierre Curzi, Richard Desjardins -, publiaient Pour sortir de la dépendance au pétrole. Sur la planète Québec, ce genre de discours risque d'avoir de l'influence. Il suffit de voir l'enthousiasme complaisant avec lequel Le Devoir en a parlé.

On peut certainement avoir un débat sur le risque que représente l'exploitation éventuelle de nos ressources pétrolières, dont on ne connaît pas pour l'instant le potentiel, et se demander si les bénéfices que cela procurerait sont suffisants pour que le jeu en vaille la chandelle. Mais ce débat tournera à vide si on sombre dans la caricature, comme dans ce manifeste où l'on trouve au moins trois non-sens économiques.

Le premier consiste à douter qu'une éventuelle production pétrolière réduise nos importations de pétrole. «Il est cependant irresponsable d'affirmer, car il n'y a aucune preuve ni garantie, que l'exploitation en sol québécois réduira durablement et significativement ce déficit commercial.» On ne devrait pas à avoir à prouver des évidences. Chaque baril de pétrole produit au Québec réduira le déficit commercial d'autant. L'ampleur de la réduction du déficit commercial dépendra essentiellement de l'importance de cette production.

Le second porte sur la crainte que la production pétrolière compromette nos efforts pour réduire notre dépendance au pétrole. Mais pourquoi en serait-il ainsi? Les Québécois voudront-ils brûler plus d'essence parce qu'elle vient de chez nous? Cette crainte vient peut-être du fait qu'on plaque inconsciemment au pétrole le modèle hydroélectrique où, parce que c'est notre électricité, on la vend au rabais et on encourage la surconsommation.

Mais l'argument le plus étrange, c'est de douter que cette production puisse procurer des bénéfices économiques, notamment parce que «les entreprises privées détiennent l'essentiel des droits d'exploitation», en faisant référence au cas norvégien. Pourquoi aller si loin? On peut regarder juste à côté, à Terre-Neuve, même si ça fait moins chic, où l'exploitation du pétrole a eu un impact majeur et déclenché une véritable révolution.

En 1997, Terre-Neuve était la province la plus pauvre du Canada. En 2012, à 64 188$, le PIB par habitant de Terre-Neuve était le troisième au Canada, après ceux de l'Alberta et de la Saskatchewan. Il dépasse de 45% celui du Québec, qui est de 44 267$. Bien sûr, ces chiffres sont gonflés par une production pétrolière qui ne profite pas entièrement aux Terre-Neuviens.

Mais le boom pétrolier a aussi un impact concret sur les revenus. En 2002, le revenu disponible des ménages de Terre-Neuve était de 9% inférieur à celui du Québec. En 2012, avec 30 641$, il dépassait de 15,6% les 26 347$ des Québécois.

En 2002, la rémunération hebdomadaire moyenne terre-neuvienne, à 592,22$, était de 5% inférieure aux 622,87$ québécois. Maintenant, les Terre-Neuviens nous dépassent de 12,8%, 927,47$ contre 822,68$.

L'impact a aussi été majeur pour les finances publiques. En 2003, les revenus budgétaires de Terre-Neuve étaient de 4,2 milliards. En 2012, ils atteignaient 8,1 milliards, grâce à des redevances pétrolières de 2,8 milliards. Le budget de la province a doublé en dix ans, une croissance deux fois plus importante que celle du Québec.

Ça ne fait pas de Terre-Neuve un modèle. La manne pétrolière n'a pas profité pas à tout le monde, elle n'a pas tout réglé, loin de là, mais elle a eu un impact significatif sur la croissance, l'emploi, les salaires, les ressources collectives. Le Québec est-il sur une autre planète où ces impacts ne se manifesteraient pas?