Le ministre de la Santé, Réjean Hébert, a écarté l'idée de faire payer les patients en fonction de leur revenu pour les chambres privées dans les deux futurs hôpitaux de Montréal, le CHUM et le CUSM.

On l'a échappé belle. Mais le dossier n'est pas clos pour autant. Parce que cette idée malheureuse a circulé en très haut lieu au ministère de la Santé. Qu'il a fallu deux jours au ministre pour l'écarter après que Radio-Canada en ait révélé l'existence. Et que le démenti de M. Hébert est sibyllin. Il ne promet pas que les chambres seront gratuites, mais plutôt qu'il y aura «une offre de chambres gratuites dans les hôpitaux», ce qui n'est pas du tout la même chose.

L'hypothèse d'une tarification au revenu n'est pas seulement une démarche comptable qui a mal tourné. Elle trahit une dérive chez ceux qui sont censés être les gardiens du système de santé qui semblent avoir perdu leurs repères.

En soi, le fait d'exiger un paiement pour une chambre d'hôpital n'a rien de choquant. On le fait déjà. Le système de santé est gratuit pour les soins de santé nécessaires. Les chambres communes sont gratuites. Mais l'État ne paie pas pour le luxe, pour l'hôtellerie, et exige donc des frais pour les chambres doubles et les chambres privées. Une pratique que l'on retrouve dans de nombreux pays.

Mais les soins de santé évoluent. On a abandonné l'aménagement de chambres communes dans les hôpitaux pour éviter les infections et pour assurer une qualité de vie favorisant la guérison. La chambre privée cesse donc d'être du luxe pour devenir un service de base. Dans la logique de notre système, ce devrait être gratuit. D'autant plus que dans les nouveaux hôpitaux, comme le CHUM et le CUSM, les patients n'auront pas le choix, puisqu'il n'y aura pas de chambres communes.

Le ministère, qui perd ainsi une source de revenus, 60 millions par année, cherche donc de nouvelles façons de facturer les patients, d'où l'idée de faire payer la chambre à ceux qui ont des sous. Au premier abord, ça peut ressembler à une application du principe de l'utilisateur-payeur. Mais ce n'est pas le cas, puisqu'on ne cible que certains utilisateurs.

C'est plutôt une forme de fiscalité redistributive, où on fait payer les riches d'une façon qui commence à être punitive parce qu'on a déjà, dans le dernier budget, choisi de demander aux citoyens plus fortunés de financer davantage la santé avec des impôts et une contribution santé plus élevés.

L'idée a été abandonnée, mais on peut soupçonner que Québec va essayer de trouver une autre formule pour faire payer certains patients. On subodore la tentation de solliciter ceux qui disposent d'assurances privées. Une sorte de pelletage où l'on oublie que quelqu'un devra payer à travers des primes plus élevées pour les assurances privées ou les régimes collectifs.

Cela aurait soulevé un joli paradoxe. Ce serait le ministère de la Santé et son ministre, farouches opposants à ce qu'on appelle un système à deux vitesses, qui l'introduiraient au Québec, en abandonnant deux principes à la base de notre système, la gratuité et l'équité. Ce devrait être inacceptable pour ceux qui sont partisans d'un système gratuit et universel pur et dur.

Mais de telles formules posent aussi problème pour ceux, et j'en suis, qui souhaiteraient que l'encadrement de notre de système soit plus souple et moins dogmatique.

Si on veut abandonner le mur-à-mur absolu, comme la plupart des pays le font, il faut donner des choix aux citoyens, des solutions de rechange, mieux intégrer les solutions d'assurance. Dans la formule à laquelle songeait le ministère, les patients auraient été prisonniers d'un système universel qui ne livre plus la marchandise. Le pire des deux mondes.