Le projet de loi 60 sur la charte de la laïcité que le ministre Bernard Drainville a déposé hier reprend à peu près tels quels les éléments de la charte des valeurs. Sauf un changement heureux, l'abandon du terme flou de «valeurs québécoises», et une modification qui, elle, est malheureuse, la réduction de la possibilité pour les villes et les réseaux parapublics de se soustraire au processus.

Cette loi n'apportera donc pas grand-chose de plus à la dynamique du débat. Ceux qui appuyaient la charte des valeurs seront d'accord avec le projet de loi 60, et ceux qui étaient contre continueront à s'y opposer.

En fait, ce qui est le plus significatif, ce n'est pas le contenu du projet de loi, mais plutôt l'absence d'évolution de la pensée gouvernementale. La charte des valeurs, depuis les premières fuites du mois d'août, a suscité un très intense débat au Québec. Les prises de position, les pétitions, les sondages, et la consultation maison du gouvernement Marois ont montré que les Québécois sont plus que divisés sur la question, ils sont polarisés.

Dans un tel contexte, on se serait attendu à ce que le gouvernement Marois mette un peu d'eau dans son vin, pour désamorcer ces divisions et trouver un terrain d'entente plus consensuel. Mais c'est exactement le contraire qui s'est passé. Le gouvernement a durci son projet et limitant le droit de retrait, et le rend donc un peu plus inacceptable pour une grande partie de la population. N'est-ce que pas étrange?

Ce qui ressort de ces messages, c'est qu'il y a un très grand consensus sur les grands principes, la laïcité et l'égalité entre hommes et femmes, et sur l'importance de baliser les accommodements raisonnables, notamment pour qu'ils respectent ces principes. Par contre, les Québécois sont très divisés sur l'interdiction du port de signes religieux aux employés du secteur public.

Si le gouvernement Marois était en mode solution, s'il souhaitait d'abord faire avancer le Québec, il aurait rapidement mis en oeuvre les mesures consensuelles. Et il aurait poursuivi la réflexion sur la question du port des signes religieux, un sujet plus complexe, qui porte largement sur la question du foulard islamique et de la peur de l'intégrisme religieux.

Mais il ne l'a pas fait. Cela nous dit quelque chose sur les intentions du gouvernement péquiste, qui a plus intérêt à cultiver ces divisions qu'à les désamorcer, parce qu'elles renforcent sa base électorale. Ce n'est pas un jalon pour le Québec, mais plutôt pour la conquête d'une majorité.

Cela explique le fait qu'après trois mois de débat, le projet, si précis dans les détails, est terriblement flou dans ses fondements. Le ministre Drainville n'a toujours aucune idée du nombre de personnes qui seraient touchées par l'interdiction du port de signes religieux, et explique son ignorance par un argument franchement absurde, son refus de faire du profilage. 

Le silence sur les obstacles juridiques qui attendent le projet. La question du crucifix qui est lâchement refilée à l'Assemblée nationale. La réticence de M. Drainville à reconnaître que son projet pourra mener à des congédiements. Le style orwellien de la première ministre, qui affirme qu'un projet qui déchire les Québécois et stigmatise les femmes voilées contribuera à «rapprocher les Québécoises et les Québécois».

Ce projet n'a pas beaucoup d'avenir, parce que le gouvernement est minoritaire, que les tribunaux ne cautionneront pas les entorses aux droits fondamentaux, et qu'il sera mis aux poubelles par un éventuel gouvernement libéral. Mais ce projet a déjà fait des dégâts. Ce projet a déjà réussi à réveiller des réflexes xénophobes qui sommeillaient, à opposer Montréal et les régions, à isoler le Québec en Amérique du Nord, et à faire reculer le nationalisme québécois.