La première ministre a été ébranlée par la sortie d'Alcoa, qui a menacé de fermer ses alumineries québécoises si elle n'obtient pas une entente satisfaisante sur les prix de l'électricité. On comprend l'inquiétude de Pauline Marois. Sa menace est désastreuse pour l'image du Québec. Et son départ serait désastreux pour l'économie.

La sortie d'Alcoa s'inscrit bien sûr dans un contexte de négociation. L'entente qui assure à l'entreprise des tarifs d'électricité concurrentiels prendra fin en 2015, et celle-ci tente de s'assurer qu'elle pourra encore compter sur un tel avantage. Mais pourquoi la compagnie a-t-elle choisi la voie de l'affrontement?

Cela s'explique en grande partie par le climat d'improvisation qui règne à Québec. Le gouvernement Marois, qui aime tant énoncer des politiques, n'en a pas sur l'aluminium. Sa politique énergétique, qui fait actuellement l'objet d'une consultation, nage dans la confusion. Et la ministre en principe responsable du dossier, Martine Ouellet, a transformé le ministère des Ressources naturelles en groupuscule militant hostile au développement. Pas étonnant que les alumineries s'inquiètent.

Cette discussion s'inscrit dans un contexte mondial difficile. Le prix de l'aluminium, de 3300$ la tonne avant la crise, n'était que de 1893$ hier, ce qui a fortement affecté la rentabilité des alumineries et provoqué des fermetures. Cependant, l'aluminium reste un métal d'avenir.

Mais il y a une autre révolution, du côté de l'énergie. De nombreux pays producteurs de pétrole ont misé sur l'aluminium pour assurer leur diversification, notamment au Moyen-Orient, tandis que l'arrivée du gaz de schiste a fait chuter les prix de l'énergie, surtout aux États-Unis. Tant et si bien que le Québec a perdu son avantage énergétique. Selon l'industrie, les trois quarts des alumineries du monde, sauf en Chine, obtiennent de meilleurs prix de l'énergie que le tarif L que le Québec consent aux clients industriels.

Ce que dit Alcoa, comme les deux autres joueurs, Alouette et Rio Tinto Alcan, c'est que le retour au tarif L, quand les ententes spéciales prendront fin, serait insoutenable, et qu'il faudra une nouvelle politique de rabais tarifaires si on veut conserver nos alumineries et susciter de nouveaux investissements.

Que répond le gouvernement? Mystère. L'aluminium n'est pas dans son radar. Sa récente politique économique prévoit des rabais d'électricité, mais pour d'autres industries, et ne dit rien sur l'aluminium. Sa politique industrielle non plus. Sa politique du commerce extérieur ne mentionne même pas le mot aluminium, même si c'est la principale industrie exportatrice au Québec.

Et du côté énergétique, en principe au coeur d'une stratégie de l'aluminium, le gouvernement Marois a lancé une consultation portant essentiellement sur les GES, où la ministre Ouellet a produit un document biaisé et confus qui a complètement évacué l'enjeu du développement. Pas un mot là non plus sur l'aluminium.

Pour coiffer le tout, le gouvernement Marois semble clairement déchiré entre deux pôles de décision économique, qui ne se parlent pas, et qui ne vont pas dans la même direction - le ministre des Finances Nicolas Marceau d'un côté, et le fief des Ressources naturelles de Martine Ouellet de l'autre.

Il est vrai que les rabais d'électricité coûtent très cher, qu'ils privent Hydro-Québec de revenus. Par contre, le contexte a changé. Hydro dispose maintenant d'importants surplus, et ses exportations vers les États-Unis sont moins lucratives avec les prix bas du gaz. Je crois aussi qu'on sous-estime grandement les effets structurants de cette industrie. Et qu'il n'est pas fou de miser sur une industrie où nous sommes les troisièmes au monde.

Une politique de soutien à l'aluminium ne peut cependant pas se faire sans débat. Mais pour qu'il soit possible, il faudrait que le gouvernement Marois commence par faire preuve, dans ce dossier, de leadership et de cohérence.