Il fallait voir le ministre responsable de la Charte, Bernard Drainville, dévoiler les résultats des commentaires sur son projet de charte des valeurs québécoises. Ému par les 26 305 courriels qu'il a reçus, il a proclamé que c'était «un beau jour pour la démocratie».

Le ministre avait raison sur un point. Le fait que plus de 26 000 personnes aient pris le temps d'écrire pour donner leur point de vue sur la charte constitue une saine forme d'implication dans le débat public. Mais le reste de sa démonstration était presque loufoque.

Le ministre, tout fier, a souligné 47% des courriels approuvaient le projet, et qu'un autre 21% l'appuyaient avec modifications. Il en a déduit qu'il disposait d'un soutien significatif de 68% de la population, au terme de ce qu'il a qualifié d'«exercice de démocratie participative très concluant».

Et pourtant, il est évident que ce genre de consultation informelle ne permet aucunement de mesurer la représentativité des correspondants. On le voit d'ailleurs au fait que les sondages sérieux disent autre chose: un appui de 50% à la charte, selon notre CROP, ou de 46%, selon Léger Marketing.

M. Drainville, du bout des lèvres, a admis que la consultation n'était pas scientifique, pour ajouter rapidement qu'il s'agissait d'un «bel échantillonnage». «Rendu à 26,000, a-t-il dit, ça donne une bonne idée.» Une idée de quoi? «Les gens nous disent que», a aussi conclu le ministre. Ce qu'il voulait dire, c'était plutôt: «Les gens qui sont d'accord avec nous nous ont dit que...». Appelons cela de la démocratie sélective! Rappelons qu'hier, 26 776 personnes, qui «disent» le contraire, avaient signé le Manifeste pour un Québec inclusif.

Ce qui est plus troublant que son arithmétique, c'est que le ministre veuille utiliser cette consultation boiteuse pour modifier son projet de charte, sans doute pour retirer le crucifix de l'Assemblée nationale et éliminer la période de transition.

On a souvent reproché aux politiciens de gouverner par sondage, ce qui est généralement perçu comme un signe d'opportunisme. Et bien, on vient de s'enfoncer encore un peu plus, avec un ministre qui veut maintenant gouverner par emails. M. Drainville vient ainsi d'inventer un nouveau genre, celui de l'ePopulisme.

À quand un référendum-éclair sur Twitter? À quand le moment où un ministre défendra un projet à l'Assemblée nationale en brandissant les 2000 «like» sur sa page Facebook? Rétrospectivement, la Commission des droits de la personne, dont l'avis défavorable à la charte a été balayé du revers de la main par M. Drainville, aurait eu plus d'influence si elle avait demandé à tous ses employés d'inonder de courriels le site du ministre de courriels.

Il y avait quelque chose de primaire et d'ignare dans la démonstration du ministre, assez étonnante pour un ancien journaliste. Cela s'explique sans doute par la confusion qu'il doit entretenir dans un débat où ses appuis proviennent d'une alliance contre nature entre deux groupes incompatibles, ceux qui appuient la charte, notamment certains courants féministes, au nom de la laïcité et de l'égalité des sexes, et ceux qui sont plutôt séduits par une ligne dure face à l'immigration.

Notre dernier sondage CROP illustre ce phénomène. L'appui au PQ a augmenté de 29% à 34% entre août et octobre grâce à un bond considérable de sa popularité auprès des hommes, de 26% à 39%, à cause de la charte, tandis qu'il baissait chez les femmes, de 32% à 29%.

Bref, les hommes québécois se mobiliseraient davantage pour l'égalité homme-femme que les femmes elles-mêmes! La société québécoise n'est-elle pas merveilleuse? À moins, bien sûr, que le succès du projet de charte repose sur autre chose...