Il y a une dizaine d'années, le Canada a fait un grand pari. Celui de ne pas trop chambouler son système de santé et d'y injecter beaucoup d'argent pour améliorer les soins. Appelons cela la logique du statu quo enrichi.

Poursuivons tout de suite en disant que le Québec a été pleinement partie prenante de cette logique. Le système de santé québécois est une variante du système canadien, il en respecte religieusement les règles, qu'il a faites siennes, et il dépend en partie du financement fédéral. Au Québec comme ailleurs, les dépenses de santé ont continué à augmenter substantiellement depuis 10 ans malgré les politiques d'austérité.

Et c'est ainsi, que de 2003 à 2012, les dépenses de santé au Canada sont passées de 124 à 207 milliards, une hausse à peu très trois fois plus rapide que l'inflation. Et qu'est ce qu'on a obtenu pour cette injection de 83 milliards? Presque rien.

C'est le constat que fait le Conseil canadien de la santé, un organisme consultatif indépendant mis sur pied par Ottawa pour suivre et mesurer les progrès du système de santé après les accords fédéraux-provinciaux de 2004. «Une décennie de réforme en vertu des accords sur la santé n'a mené qu'à des améliorations modestes en matière de santé et de soins de santé. La transformation que nous attentions ne s'est pas produite. Il est temps de se recentrer.» Ce n'est pas un cri d'alarme, comme on dit souvent, mais plutôt un cri de désespoir.

Le rapport compare le Canada à dix pays riches dont les institutions sont comparables: Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, États-Unis, Royaume-Uni, France, Australie, Allemagne, Suède, Suisse et Norvège. Avec des dépenses qui équivalent à 11,2% de son PIB, le Canada est l'un des pays qui consacrent le plus de ressources à la santé, avec les États-Unis, la France et les Pays-Bas.

Et s'il est en tête de peloton pour ses dépenses, le Canada ne l'est pas pour la performance de son système. C'est le grand paradoxe canadien. Selon le rapport, pour les résultats en santé, il se situe dans la médiane des pays de la comparaison; par exemple, 5e sur 11 pour l'espérance de vie, 7e sur 11 pour la prévalence des maladies chroniques multiples.

Mais pour les services dispensés aux citoyens, il est déclassé; 9e sur 10 pour un rendez-vous le jour même ou le lendemain - pour certains indicateurs, certains pays ne disposaient pas de données -, 9e sur 10 pour des soins hors des heures de service, 11e sur 11 pour les délais pour les chirurgies électives, 10e sur 11 pour la non-disponibilité des résultats lors de rendez-vous, 7e sur 11 pour le partage d'informations entre urgences et médecins, 9e sur 10 pour les dossiers électroniques.

Ne rêvons pas en couleurs. Si on comparait le Québec à ce groupe de pays, ce ne serait pas mieux, parce que les comparaisons interprovinciales, notamment celle du Conference Board, classent le Québec en milieu de peloton pour la performance de son système de santé.

Où est allé l'argent? Pourquoi le Canada dépense-t-il autant et plus que les autres et fait moins bien? Comment, en plus, faire face aux pressions du vieillissement? On sait maintenant que l'argent n'est pas la solution, qu'il faut surtout réussir à faire mieux avec les ressources que nous consacrons à la santé.

Pour cela, il faut de nouvelles approches, des attitudes différentes, qui sont hélas freinées par l'immobilisme qui étouffe le monde de la santé. Ce cercle vicieux, on le brisera seulement quand les gens seront convaincus que la stratégie actuelle, celle du statu quo enrichi, ne fonctionne pas.