Le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux, Réjean Hébert, a annoncé récemment que le gouvernement paierait pour les échographies réalisées dans les cliniques privées. Cette réforme, amorcée par le gouvernement précédent, est plus que souhaitable.

Elle contribuera à réduire les inégalités à rendre notre système de santé un peu moins à deux vitesses, dans le vrai sens du terme. L'expression est largement utilisée dans le cadre du débat public-privé en santé, surtout dénoncer les privilèges dont jouissent ceux qui ont accès à des services privés.

Mais la vraie double vitesse n'est pas là. Elle tient au fait que le système canadien, tout comme sa variante québécoise, est hypocrite. D'un côté, pour une bonne partie des activités - hospitalisation, médecins - le poids du secteur public, gratuit et universel, est écrasant, presque cubain. Mais le reste - soins dentaires, lunettes, médicaments, tests diagnostiques, physiothérapie, psychologues, soin des aînés - est peu ou mal couvert par le public et devient le royaume du free-for-all à l'américaine.

C'est pour cela que le Canada est l'un des pays où les dépenses privées sont les plus importantes, 30,3% - et 30,7% au Québec -, bien au-dessus de la moyenne de 18,5% de l'OCDE. Le privé, en France, compte pour 23% des dépenses, 16,8% au Royaume-Uni, 23,2% en Allemagne. Pas parce que le privé ronge notre système: 90,9% des dépenses hospitalières sont publiques au Canada, 98,9% des honoraires médicaux. Mais parce que notre système est incomplet: les consommateurs, ou leurs assureurs, paient 91,9% des dépenses pour les autres professionnels ou 61,9% des médicaments.

Cela mène à des injustices. L'imagerie médicale fait maintenant partie des outils diagnostics incontournables. Ces services sont offerts gratuitement dans le public, à condition de poiroter des mois. Ce qui explique que 100 000 échographies par année se font sans attente, en cabinet privé, aux frais du patient.

Résultat, des gens n'ont pas accès à des soins de même qualité parce qu'ils n'ont pas assez d'argent. C'est exactement ce que notre système public cherchait à éviter. Je suis un partisan d'une présence plus grande du privé en santé, mais pas de cette façon-là. L'assise de notre système doit être un régime public de qualité pour tous, et pour cela, il faut tendre vers un élargissement de ce qu'il offre.

Voilà pour le principe. Mais pour corriger ces déséquilibres, on plaque des approches d'il y a 40 ans. Premièrement, du flou pour les coûts: 30 millions pour les échographies, dit le gouvernement; 100 millions, disent des médecins. On devrait apprendre, au Québec, à être sûrs des coûts de nos nouveaux programmes et à les lancer quand on a les moyens. Ce n'est pas le cas maintenant.

Deuxièmement, le sacro-saint principe de l'universalité. Ça va être gratuit pour tout le monde, et donc aussi pour qui avait des assurances ou les moyens de payer, ce qui gonflera la facture. Pourtant, nous disposons d'un modèle moins mur-à-mur, qui fonctionne bien, l'assurance-médicaments.

Troisièmement, la phobie pathologique du privé. Déjà, en partant, le remboursement des échographies risque d'engorger le système. Mais en plus, le ministre Hébert veut les rapatrier le plus possible dans le public, même si les cliniques privées fonctionnent bien. Pourquoi? Pour exposer les gens aux microbes, aux heures d'attentes, à la bureaucratie hospitalière?

L'important, c'est qui paie quoi. Pas qui fait quoi. On va à contre-courant du reste du monde industrialisé, où la couverture est plus large, mais où on est plus souples dans la dispensation des services, où l'on intègre sans frémir les partenaires privés, au nom de la diversité, de l'innovation, du désengorgement. Comme par hasard, ce n'est pas notre système qui est le meilleur.