Margaret Thatcher a quitté le pouvoir en 1990. Et pourtant, 23 ans plus tard, son décès a provoqué des réactions très vives, des débats intenses qui montrent à quel point la première ministre britannique a frappé les esprits et marqué son époque.

En Grande-Bretagne même, cette polarisation s'explique facilement par les cicatrices qu'a laissées l'ère Thatcher. Ailleurs dans le monde, elles tiennent en partie à son rôle sur la scène internationale, mais surtout au fait qu'elle est devenue le symbole de la droite et l'incarnation de ce que l'on a décrit comme une grande vague néolibérale. Certains voient même son influence dans les politiques d'austérité auxquelles sont soumis certains pays européens.

On a tendance à gonfler l'héritage de la Dame de fer et à exagérer l'influence qu'elle a pu avoir sur d'autres sociétés. Mme Thatcher n'a pas inventé l'austérité, ni les privatisations, ni le recours accru au secteur privé. Et aucun pays ne l'a vraiment copié.

Il faut replacer l'action de Mme Thatcher dans son contexte. En 1979, quand elle a pris le pouvoir, le Royaume-Uni était un pays sclérosé, en perte de vitesse. Son PIB par habitant, à 18 139$US, venait de passer en dessous des 18 228$US de l'Italie. Un symbole de la descente aux enfers de ce qui avait été une grande puissance et qui devenait la plus pauvre des grandes économies européennes.

Margaret Thatcher a transformé son pays, avec des politiques d'austérité pour rétablir sa santé financière, mais aussi avec une série de mesures pour casser le moule légué par le régime travailliste, avec son secteur public hypertrophié, ses entreprises publiques déficitaires, ses industries subventionnées, comme les mines, son omniprésence syndicale. Elle l'a fait de façon radicale, et sans compassion, à coups de privatisations et de compressions.

Le résultat a été spectaculaire. La Grande-Bretagne a retrouvé son rang de pays le plus prospère d'Europe. Mais le coût a été énorme en termes de drames humains. Quand Mme Thatcher a pris le pouvoir, le taux de chômage était de 5,5%. En 1984, il atteignait 12%, à cause de la récession mondiale, mais aussi à cause de ses réformes.

Cette brutalité était-elle nécessaire? On peut toutefois noter que ce virage était assez consensuel pour que les travaillistes de Tony Blair, pour prendre le pouvoir et le conserver, ont dû abandonner leur dogme traditionnel et préserver de larges pans de l'héritage thatchérien.

Mais il faut noter que le virage auquel on associe Mme Thatcher était déjà en marche en Occident, en raison de l'échec des modèles socialistes et de l'impasse financière et économique à laquelle l'État-providence avait mené à peu près partout. Plusieurs pays s'étaient résolus à donner un coup de barre pour éviter la crise financière, et à revenir aux lois du marché pour redynamiser leur économie. Les sociaux-démocrates avaient perdu le pouvoir en Suède en 1976. L'Allemagne se lançait dans des réformes. Ronald Reagan, devenu président en 1981, avait formulé sa doctrine bien avant l'arrivée de Mme Thatcher.

On le voit bien au Canada, qui a connu lui aussi un virage en 1984, avec le conservateur Brian Mulroney. Le raz de marée québécois qui l'a porté au pouvoir n'était certainement pas nourri par l'expérience britannique. La lutte au déficit, et les privatisations, rétrospectivement assez modérées, s'expliquaient moins par une doctrine que par la crise des finances publiques. Et le grand virage du libre échange était une idée héritée du gouvernement Trudeau.

Il est vrai que Mme Thatcher, par la fermeté de ses convictions, inspire encore les politiciens à la droite du spectre politique. Mais aucun pays important n'a adopté des mesures aussi brutales, ce qui permet de croire que la révolution thatchérienne est restée un phénomène propre au contexte particulier de la Grande-Bretagne.