Il y a un étrange paradoxe dans tout le débat déclenché par le mouvement étudiant. L'ASSÉ, groupe le plus radical, perd des plumes, mais sa revendication centrale, la gratuité universitaire, prend du galon. Elle séduit des intellectuels. Elle rallie 30% des Québécois. Elle a la caution morale de Jacques Parizeau. Et le gouvernement péquiste n'est pas contre l'idée, mais explique plutôt que le Québec n'en a pas les moyens.

Cette rencontre improbable entre la jeunesse radicale romantique et l'âge d'or nostalgique ne constitue pas un progrès de la société québécoise dans sa quête de solidarité, mais plutôt une fossilisation de l'idéal social-démocrate, incapable de sortir de ses ornières.

Le problème, c'est qu'on confond belles idées et bonnes politiques. La gratuité est un symbole qui incarne admirablement ce principe de justice sociale qu'est l'accessibilité de l'université. Mais c'est une très mauvaise façon d'atteindre cet objectif.

Pas parce que le Québec n'en a pas les moyens. Au plan strictement financier, la gratuité est tout à fait possible. Cela coûterait un peu plus de 1 milliard par année, somme que le Québec peut payer s'il sacrifie d'autres objectifs ou s'il est prêt à augmenter les impôts.

C'est faisable, mais est-ce souhaitable? Avant d'implanter une politique ambitieuse et coûteuse, il faut poser les bonnes questions. Quel objectif cherche-t-on à atteindre? Si c'est l'accessibilité, est-ce que la gratuité est la meilleure façon d'y parvenir? Est-ce que son implantation aurait des effets indésirables? Et surtout, est-ce la meilleure façon de dépenser 1 milliard par année?

Au moment de la Révolution tranquille, on aurait voulu rendre l'université gratuite pour éliminer l'obstacle financier et ouvrir davantage les portes de l'université aux moins bien nantis. Faute d'argent, on s'est alors rabattu sur le gel. C'était il y a 50 ans. Mais qu'est-ce qu'on a appris depuis un demi-siècle?

On sait que des droits de scolarité beaucoup plus bas n'ont pas permis au Québec de faire mieux que les autres provinces en termes d'accessibilité. De très nombreuses études, québécoises, canadiennes, internationales, montrent de façon très claire que le coût des études, s'il est raisonnable, n'est pas un obstacle important à l'entrée à l'université. Les enfants de milieux moins riches sont moins nombreux à l'université en raison de la faible valorisation des études dans leur milieu et parce qu'ils ont plus de chances d'avoir de mauvais résultats scolaires.

Si, collectivement, nous voulions consacrer 1 milliard par année à l'amélioration de l'accessibilité aux études supérieures, ce n'est certainement pas dans la gratuité qu'il faut investir. Il faut oublier les symboles creux, et travailler dans l'ombre, en amont, pour accompagner les enfants bien avant qu'ils obtiennent leur DEC, pour améliorer leurs résultats scolaires, pour lutter contre le décrochage. La vraie justice sociale est là.

D'autant plus que la gratuité nous éloigne de la justice sociale parce que le gros de ce milliard se retrouverait dans les poches de ceux qui iraient à l'université de toute façon, largement issus des classes moyennes et des milieux aisés.

Il y a un autre effet pervers. Sans le rôle de ticket modérateur que jouent les droits de scolarité, on retrouverait dans les universités ce qu'on observe dans les cégeps: plus d'étudiants, mais des cheminements académiques plus longs, un taux d'échec élevé. Sans oublier les effets d'une surpopulation universitaire sur la qualité de l'enseignement et le risque que la gratuité mène à plus de contingentement.

La séduction qu'exerce l'idée de la gratuité illustre la dérive du débat depuis le printemps dernier, où l'on a souvent oublié que les choix d'une société doivent aussi reposer sur des faits, des données, des études et des analyses.