J'ai écrit, il y a une semaine, une chronique où je mettais en doute la pertinence d'instaurer un prix unique du livre, une idée chaudement défendue par les libraires et les éditeurs, qui consiste à interdire les rabais sur les livres, surtout les best-sellers, pour protéger les petites librairies de la concurrence des grandes surfaces.

Cette chronique m'a valu un abondant courrier. Cela s'explique sans doute par le fait que le milieu du livre a une tendance naturelle à réagir en prenant la plume. On me reprochait surtout ma méconnaissance de l'industrie du livre, de ses problèmes et de ses spécificités.

Mais une des critiques, lapidaire, m'a fait réagir. «Évidemment, vous êtes un homme de droite.» Elle illustre à merveille l'incroyable confusion que l'on entretient au Québec sur ce que sont la droite et la gauche. Comme si toute cause qui semble juste est automatiquement à gauche, on comme si toute cause défendue par des gens naturellement à gauche, comme le monde du livre, était automatiquement juste.

Dans le cas qui nous occupe, le souci de ceux qui veulent convaincre le gouvernement Marois d'imposer le prix unique est légitime. Mais je soulignais que cette politique avait des conséquences. Le prix unique forcera les gens à payer le plein prix pour leurs livres. Ça leur coûtera plus cher. Et cela affectera surtout les lecteurs aux revenus plus faibles, plus sensibles aux prix, ou ceux dont les habitudes de lecture sont moins bien enracinées.

Et maintenant, voilà ma question. Qu'est-ce qui est à gauche? Défendre des lecteurs, ou défendre des libraires? Défendre des citoyens vulnérables ou défendre ce qui est, en fin de compte, malgré son rôle socialement utile, un lobby de petits commerçants qui défend ses intérêts.

Poussons un peu plus loin. Il est très rare qu'une politique publique ne fasse que des heureux. L'essence même du processus de décision consiste à mettre dans la balance les avantages et les inconvénients pour faire les choix les plus judicieux.

Dans ce cas-ci, en favorisant une politique qui donnerait plus de vitalité au réseau des librairies indépendantes, on ne ferait pas qu'incommoder des acheteurs de livres, on risquerait de provoquer des effets négatifs sur les habitudes de lecture. Car il est très difficile d'imaginer que des prix plus élevés puissent être un incitatif pour donner le goût de la lecture.

Il n'y a pas beaucoup de statistiques culturelles, mais un sondage très détaillé de Patrimoine Canada indiquait récemment que les Québécois lisent moins que les autres Canadiens, 46 % contre 54 %. Ils ont également moins de livres: 36 % des francophones du Québec avaient plus de 50 livres chez eux contre 51 % des anglophones des autres provinces. Ils vont moins dans les bibliothèques, 34 % contre 42 %.

Par ailleurs, nous avons, au Québec, un problème d'analphabétisme, ou plus précisément un problème de littératie. Selon une vaste enquête internationale, trop de Québécois n'ont pas une maîtrise suffisante de la lecture et de l'écriture pour bien fonctionner en société. C'est le cas de 49 % des Québécois, contre 42 % des Canadiens.

Voici un problème de société majeur. Nos retards en lecture trahissent l'existence d'une fracture sociale. Ils se doublent d'un problème identitaire au Québec, car l'épanouissement de notre langue minoritaire repose sur la capacité des citoyens de la manier, de la lire, de l'écrire. Ce doit donc être un objectif collectif central au Québec d'encourager la lecture, et de faire preuve d'une très grande prudence à l'égard de toute mesure qui pourrait entraver ou compromettre cet effort.

Je repose ma question. Qu'est-ce qui est à gauche, défendre la lecture, ou défendre les libraires?