Depuis la crise de 2008 et l'explosion du déficit qu'elle a provoquée, le gouvernement conservateur a défini sa politique budgétaire en fonction d'un grand objectif: la réduction de ce déficit et un retour le plus rapide possible à l'équilibre budgétaire.

Si le déficit prévu augmente de 24% cette année et si le moment où on parviendra à l'éliminer totalement est décalé d'un an, on peut dire sans se tromper, et sans manifester une tendance journalistique à chercher la petite bête, qu'il s'agit d'un événement significatif, digne de mention.

Selon les données de la «Mise à jour des projections économiques et financières», rendues publiques hier par le ministre des Finances Jim Flaherty, le déficit, qui devait être de 21,1 milliards cette année, sera plutôt de 26 milliards. Un gonflement qui affecte aussi les années suivantes tant et si bien qu'au lieu d'arriver au déficit zéro en 2015-2016, il faudra attendre jusqu'à 2016-2017 pour cesser d'être dans le rouge. En fin de compte, la réévaluation à la hausse des déficits annuels pendant cinq ans ajoutera 21,6 milliards à la dette publique.

Et bien, on a eu droit à un véritable tour de force du ministre Flaherty, qui a réussi à présenter ce document sans faire la moindre allusion directe à cette explosion du déficit ou au report de l'atteinte du déficit zéro.

Pas un mot dans le communiqué qui accompagnait la mise à jour, où le ministre se borne à affirmer que «le Canada demeure sur la bonne voie pour rétablir l'équilibre budgétaire à moyen terme». Pas un mot dans les faits saillants en introduction du document. Pas un mot non plus dans son allocution sur cette mise à jour à Fredericton. Et dans le document de 66 pages, pas un mot non plus. Pour avoir l'heure juste, il faut aller à un tableau, à la page 50. Mais le texte qui l'accompagne fait tout pour ne pas dire ce qui aurait dû être dit.

La seule allusion à ce qui est un problème réel, c'est le passage tarabiscoté suivant: «Le tableau montre que le solde budgétaire ajusté en fonction du risque s'est détérioré tout au long de la période de prévision en raison de revenus inférieurs à ceux prévus. Quoi qu'il en soit, le déficit budgétaire prévu ne cesse de diminuer. Il y aura un modeste déficit de 1,8 milliard en 2015-2016 qui se transformera ensuite en excédent de 1,7 milliard en 2016-2017 et de 3,4 milliards en 2017-2018. Par conséquent, en dépit de la faiblesse du contexte économique mondial, le gouvernement est en bonne voie de respecter l'engagement qu'il a pris de rétablir l'équilibre budgétaire à moyen terme.»

Pourtant, le ministre n'avait rien à se reprocher. Le ralentissement de l'économie mondiale affecte indirectement le Canada par la baisse du prix des biens de base. Cela a provoqué une baisse des revenus du gouvernement et une hausse de son déficit. M. Flaherty, et c'est une décision sage, a choisi de ne pas combattre ce gonflement du déficit, parce qu'en serrant la vis, il pourrait affecter une économie fragile.

Pourquoi s'en cacher? Parce que les conservateurs, en campagne, avaient promis le déficit zéro pour 2014-2015, une échéance reportée d'un an dans le dernier budget. Mal à l'aise avec ce nouveau report, M. Flaherty, dans un réflexe partisan typique, a choisi de ne rien admettre.

Le résultat: une langue de bois qui confine au ridicule. Un document officiel qui ne donne pas l'heure juste. Et un doute. Si M. Flaherty tripote les mots, y a-t-il un risque que, par aveuglement partisan, il tripote aussi les chiffres?